Didon (Dido), Elyssa, Elissa, Elisha, Elysha ou Hélissa est une princesse phénicienne, fondatrice légendaire et première reine de Carthage. Arrivée des côtes de Phénicie (actuel Liban) aux côtes de l'Afrique du Nord, dans l'actuelle Tunisie, elle fonde la cité de Carthage. Selon la légende, elle se serait immolée par le feu pour ne pas avoir à épouser le souverain des lieux, Hiarbas.
Le mythe de Didon a été repris par Virgile dans son œuvre, l'Énéide. Il a également fait l'objet de nombreuses utilisations dans les autres arts : en musique, en peinture, en sculpture, etc.
De nombreux noms figurant dans la légende de Didon sont d'origine phénicienne, ce qui permet de supposer que les premiers auteurs grecs qui mentionnent cette histoire ont repris des récits phéniciens. Selon Marie-Pierre Noël, « Elishat/Elisha ou Alashiyya est un nom attesté à maintes reprises sur des ex-voto puniques ». Il est composé de El, qui signifie « dieu » en phénicien, et -issa, qui pourrait signifier « feu » ou « femme »[1]. Le frère de Didon, Pygmalion, correspond à Pumayyaton en phénicien. Le nom de la colline qu'obtient Didon à Carthage, Byrsa, doit signifier en phénicien « place forte » (langue sémitique : brt), mais il a été interprété en grec comme « bursa », c'est-à-dire « peau de bœuf »[1].
La source identifiable la plus ancienne date du IVe – IIIe siècle avant l'ère chrétienne : il s'agit d'un ouvrage en grec de Timée de Tauroménion, Histoire de la Sicile et du bassin méditerranéen. Cet ouvrage a inspiré les textes antiques ultérieurs centrés sur Didon ; cependant, il est complètement perdu.
Vient ensuite un passage d'un traité anonyme, également rédigé en grec et datant de l'époque hellénistique (IVe – Ier siècle avant l'ère chrétienne), intitulé Traité sur les femmes, ouvrage qui dessine le portrait de femmes célèbres et héroïques[2].
La légende est reprise ensuite par des auteurs romains : Virgile[3], Ovide[4], Silius Italicus[5] ou Trebellius Pollio et, au IIIe siècle après l'ère chrétienne, par l'historien Justin, dans l'Abrégé des histoires philippiques[6]. Gerhard Herm(de) a renouvelé l'approche de ces différentes sources dans Die Phönizier. Das Purpurreich der Antike.
Didon est une princesse phénicienne, première-née du roi de Tyr (dans l'actuel Liban), et sœur de Pygmalion. Son accès au trône est entravé par ce frère qui devient roi, et assassine par cupidité le mari de Didon, Sychée (appelé aussi Acherbas). Pour éviter probablement une guerre civile, Didon quitte Tyr avec une suite nombreuse, s'embarquant pour un long voyage dont l'étape principale est l'île de Chypre[7]. Là, l'escadre embarque des jeunes filles destinées à épouser les hommes de l'expédition.
Débarquée sur les côtes de l'actuelle Tunisie, elle choisit un endroit où fonder une nouvelle capitale pour son peuple : Carthage. Elle obtient pacifiquement des terres pour s'y établir par un accord avec le seigneur local : « autant qu'il en pourrait tenir dans la peau d'un bœuf ». Elle choisit alors une péninsule s'avançant dans la mer et, par un procédé ingénieux, fait découper une peau de bœuf en lanières extrêmement fines, ce qui lui permet de dessiner un espace bien plus vaste que celui qui lui avait été vendu[8],[9]. Le nom de Byrsa (du grec bursa) que prend la citadelle punique fait référence à la peau de l'animal.
Demandée en mariage par Hiarbas, le roi des Libyens (plus précisément, de la nation des Maxitani), elle feint d'accepter cette union et de renoncer à ses serments de fidélité à l'égard de son époux assassiné. Cependant, elle allume un bûcher et se jette dans le feu.
Selon une version tardive de Silius Italicus, soumise à une cour pressante de la part des roitelets phéniciens, elle se remarie, probablement, avec l'un de ses fidèles tyriens, qui appartenait à la famille Barca[10].
Deidô, qui serait un nom libyen, que transcrit le latinDido (devenu en françaisDidon)[11], et qui signifierait « l'errante »[1] ;
Theiossô en grec, qui traduit Elissa (El, « dieu » en phénicien, devenant Theos)[1].
Servius, commentateur de Virgile, suppose que Deidô-Didon signifierait « celle qui agit virilement », la « femme courageuse ».
Elissa est divinisée par son peuple sous le nom de Tanit et considérée comme la personnification de la grande déesse Astarté (équivalent de la Junon romaine)[12],[13],[14].
Après avoir fondé Carthage, Didon reçut la proposition de mariage du roi des Libyens, Hiarbas, mais « elle s'y opposa puis, sous la contrainte conjuguée de ses concitoyens, elle prétendit qu'elle devait accomplir une cérémonie rituelle pour la dégager de ses serments, prépara un bûcher immense près de son palais et, l'ayant allumé, se précipita de sa maison dans le feu »[15]. Cette légende très ancienne a été reprise dans un traité anonyme rédigé en grec et datant de l'époque hellénistique (IVe – Ier siècle avant l'ère chrétienne), intitulé Traité sur les femmes.
Elle a été reprise également dans l'Énéide de Virgile, où Didon dédaigne Hiarbas, roi d'un peuple de Libye. Le poète romain ajoute que la fondatrice de Carthage préfère Énée, imaginant ainsi la nouvelle figure d'une Didon amante passionnée :
« Tu as dédaigné Iarbas et les autres chefs d'armées, que nourrit la terre d'Afrique, riche en triomphes. »
La légende de Didon et Hiarbas a alimenté toute une littérature chrétienne qui valorise « la chaste Didon », cette héroïne qui se suicide plutôt que de s'unir au roi des Libyens et de trahir son devoir de fidélité conjugale. Didon est l'épouse exemplaire sous la plume d'auteurs comme Tertullien et Jérôme[1] .
À la Renaissance, des auteurs continuent à privilégier la légende de Didon et Hiarbas, en excluant le personnage d'Énée ; dans l'ouvrage de Boccace sur les Femmes illustres (XIVe siècle), Didon, s'adressant à la foule, déclare : « Comme vous le voulez, citoyens, je vais rejoindre mon époux », puis, à la surprise générale, se poignarde (« l'époux » qu'elle rejoint étant Sychée, et non pas Hiarbas)[16]. C'est le cas également de Pétrarque (XIVe siècle), qui accuse Virgile « de mentir au détriment de cette veuve exemplaire »[17], et de Boisrobert dans sa tragédie La Vraie Didon ou la Didon chaste (XVIIe siècle)[18].
Dans l'Énéide, le poète latin Virgile chante les amours de Didon et Énée.
Après le sac de Troie (ville d'Asie mineure, dans l'actuelle Turquie), Énée s'enfuit avec son père Anchise, son fils Ascagne et vingt bateaux remplis de Troyens rescapés ; les dieux de l'Olympe lui ont prédit qu'il fonderait une nouvelle cité sur le site de l'actuelle Rome (en réalité fondée par ses descendants, Romulus et Rémus). Il fait escale sur une côte d'Afrique, dans la région de l'actuelle Tunis, où il est accueilli par la reine de Carthage, Didon. Une grande passion naît alors entre eux[19] mais elle est interrompue par les dieux de l'Olympe qui rappellent au héros troyen sa destinée[20].
Lorsque Énée quitte Carthage, Didon, incapable de supporter cet abandon, se donne la mort avec l'épée qu'Énée lui avait laissée[21]. Lorsque ce dernier arrive aux Enfers, il parle à son fantôme, qui refuse de lui pardonner son départ. C'est aussi comme fantôme que Didon fait part à sa sœur, Anna Perenna, de la jalousie de Lavinia, l'épouse d'Énée.
La version choisie par Henry Purcell pour son opéra homonyme est légèrement différente. Des forces occultes (sorcières) typiquement shakespeariennes veulent la perte de Didon. Pour cela, elle produisent un fantôme qui fait croire à Énée que Jupiter l'envoie fonder Rome. Le résultat est identique à celui de l'œuvre de Virgile.
Pétrarque au XIVe siècle fait l'éloge de Didon, veuve exemplaire, dans Le Triomphe de la chasteté et dans une des Lettres de la vieillesse (Seniles) (IV,5).
Henry Fielding, romancier anglais du XVIIIe siècle, fait un parallèle dans Amelia entre les amours illicites de William Booth et Miss Matthiews dans la prison de Newgate à ceux d'Énée et de Didon à Carthage (1752).
Jacques J. Tabet, Hélissa : princesse tyrienne, fondatrice de Carthage ou Tyr vers la fin du IXe siècle av. J.-C., Paris, Librairie Alphonse Lemerre, , réimpression Samir C. Abdou, Beyrouth, 1974.
David Lockie, L'amour d'une reine, Balland, , 321 p.
Fawzi Mellah, Élissa, la reine vagabonde, Paris, Éditions du Seuil, .
Gilles Massardier, Les Brûlures de Didon, Paris, Nathan, , 126 p. (ISBN978-2-09-250646-2).
Giuseppe Ungaretti, auteur d'un poème de 19 fragments, Cori descrittivi di stati d'animo di Didone (Chœurs décrivant des états d'âme de Didon), « composé comme une tragédie sans événement dramatique »[25].
L'histoire virgilienne d'Énée et Didon a inspiré notamment le roman anglais L'Amour d'une reine de David Lockie, centré sur la relation amoureuse que le fils d'Énée, Ascagne, aurait entretenue avec la reine de Carthage. Prenant appui sur des textes anciens, le romancier attribue à Énée et Ascagne des origines phéniciennes qu'ils auraient en commun avec Didon. En effet, Anchise, père d'Énée, s'est uni avec Aphrodite (Vénus), mère divine d'Énée, souvent confondue avec la divinité phénicienne Astarté[26]. Le romancier suppose une union entre Anchise et une prêtresse phénicienne d'Astarté, plutôt qu'avec la déesse elle-même. La sœur de Didon s'adresse en ces termes à Ascagne : « Ton père [Énée] est à moitié phénicien ? s'exclama Anna stupéfaite » (p. 185). « Il y a donc pour le jeune Ascagne un retour aux origines, tout comme pour Énée une régression[27]. »
L'histoire de Didon et Hiarbas a inspiré des romanciers modernes. L'auteur libanais d'expression française Jacques J. Tabet a écrit Hélissa, roman dans lequel Énée n'apparaît pas et qui se termine par la mort de Didon dans un bûcher pour se préserver d'un mariage devenu inévitable avec le roi Hiarbas[28]. Deux auteurs tunisiens d'expression française ont consacré des romans à cette héroïne : Fawzi Mellah, avec Élissa, la reine vagabonde[29], sous la forme de lettres écrites par la Phénicienne exilée à son frère Pygmalion[30], et Sophie El Goulli, avec Hashtart, à la naissance de Carthage[31], qui centre son œuvre sur la fille adoptive de Didon, Hashtart, racontant l'histoire d'Elissa-Didon ; elle imagine que Hiarbas épouse la jeune fille, dans un mariage « mixte » qui réalise l'union des Numides et des Phéniciens[30].
Philippe Jaccottet met ces mots dans la bouche de Didon s'adressant à Énée qui l'abandonne pour fonder Rome :
« La Gloire qui te reste Gagne à travers des miasmes Et tu ne montres plus de toi Que les formes infirmes
De la bassesse
Si à tes aigres cris je te regarde »
— Philippe Jaccottet, D'une lyre à cinq cordes (anthologie poétique)[32].
À Pompéi (Maison de Méléagre, atrium), une fresque représente Didon assise sur son trône, avec à ses côtés sa sœur Anna et une servante tenant une ombrelle ; à droite, avec des défenses d'éléphant sur le front, la personnification de l'Afrique ; en arrière-plan, le navire d'Énée[33], 45 - 79 apr. J.-C., 108 × 128 cm, conservée à Naples, Museo Archeologico Nazionale.
Elle apparaît dans l'extension Gods and Kings du jeu Civilization V en tant que dirigeante de l'empire carthaginois, ainsi que dans Civilization VI: Gathering Storm où elle dirige les Phéniciens.
↑ abcd et eMarie‐Pierre Noël, « Élissa, la Didon grecque, dans la mythologie et dans l’histoire », dans Les figures de Didon : de l’épopée antique au théâtre de la Renaissance, Montpellier, Université de Montpellier, (lire en ligne).
↑On peut lire la traduction de ce texte en français (par Marie-Pierre Noël) dans Marie‐Pierre Noël, « Élissa, la Didon grecque, dans la mythologie et dans l’histoire », dans Les figures de Didon : de l’épopée antique au théâtre de la Renaissance, Montpellier, Université de Montpellier, (lire en ligne), p. 8 ; la traduction et présentation en anglais est disponible dans (en) Deborah Gera, Warrior Women : The Anonymous Tractatus De Mulieribus, Leyde, Brill, , 252 p. (ISBN978-90-04-10665-9, lire en ligne).
↑Silius Italicus, Punica, VIII (suicide de Didon).
↑La traduction en français du récit que Justin consacre à Didon se trouve dans Marie‐Pierre Noël, « Élissa, la Didon grecque, dans la mythologie et dans l’histoire », dans Les figures de Didon : de l’épopée antique au théâtre de la Renaissance, Montpellier, Université de Montpellier, (lire en ligne), p. 10-11.
↑Ernest Babelon, Carthage, Paris, E. Leroux, , p. 13.
↑Hédi Slim et Nicolas Fauqué, La Tunisie antique : de Hannibal à Saint Augustin, Paris, Mengès, , p. 21. On fait parfois référence, en mathématiques, à ce stratagème qui applique intuitivement la solution du problème isopérimétrique dans un demi-plan euclidien selon Bernard Teissier, « Volumes des corps convexes, géométrie et algèbre » [PDF], sur people.math.jussieu.fr (consulté le ), p. 1-2 (leçon donnée le jeudi 7 octobre 1999, rédigée par Carine Reydy).
↑Au IIe siècle av. J.-C., Naevius connaissait déjà l’anthroponymeDidon. Ce poète romain serait, d’après Servius, l’auteur d’un poème intitulé Bellum Punicum, où il parle de la fondatrice de Carthage. Pour avoir déclamé un vers déplaisant à l’égard des Metellus, il doit prendre le chemin de l’exil. On dit que Naevius mourut à Utique.
↑Traité sur les femmes, traduction en français par Marie-Pierre Noël, dans Marie‐Pierre Noël, « Élissa, la Didon grecque, dans la mythologie et dans l’histoire », dans Les figures de Didon : de l’épopée antique au théâtre de la Renaissance, Montpellier, Université de Montpellier, (lire en ligne), p. 8.
↑ R. Martin , « Les Bonheurs de Didon », Énée et Didon : naissance, fonctionnement et survie d’un mythe, dir. R. Martin, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1990, p. 133-146.
↑Isabel Violante Picon, Une œuvre originale de poésie : Giuseppe Ungaretti traducteur, Paris, Presses Paris Sorbonne, , 348 p. (ISBN978-2-84050-124-4, lire en ligne), p. 157.
↑Selon la version commune du mythe, l'union d'Anchise et d'Aphrodite-Astarté eut lieu près de Troie sur le mont Ida, mais selon une variante, elle eut lieu à Chypre, île proche de la Phénicie, où Aphrodite se confond avec Astarté ; V. Piranne-Delforge, L'Aphrodite grecque, « Aphrodite et l'île de Chypre ». Le texte qui présente cette variante est L'Hymne pseudo-homérique à Aphrodite, http://books.openedition.org/pulg/1431?lang=fr.
↑C. Aziza, Le visage de Didon dans la fiction contemporaine, Énée et Didon : naissance, fonctionnement et survie d’un mythe, dir. R. Martin, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1990, p. 157-162.
↑Jacques J. Tabet, Hélissa : princesse tyrienne, fondatrice de Carthage ou Tyr vers la fin du IXe siècle av. J.-C., Paris, Alphonse Lemerre, , chap. IV (« Sacrifice d'Hélissa »).
↑ a et bAbdelkader Amri, « De Didon à Elissa : la réappropriation d’un mythe », Recherches et travaux, no 81, (lire en ligne, consulté le ).
↑Sophie El Goulli, Hashtart, à la naissance de Carthage, Tunis, Cérès, .
↑Philippe Jaccottet, D'une lyre à cinq cordes : Pétrarque, Le Tasse, Leopardi, Ungaretti, Montale, Bertolucci, Luzi, Bigongiari, Erba, Góngora, Goethe, Hölderlin, Ferdinand Meyer, Maria Rilke, Lavant, Burkart, Mandelstam, Skácel, Paris, Gallimard, , 208 p. (ISBN978-2-07-074718-4, lire en ligne).
Louis Foucher, Les Phéniciens à Carthage ou la geste d'Élissa, .
René Martin, Énée et Didon : naissance, fonctionnement et survie d’un mythe, Paris, Centre national de la recherche scientifique, , 315 p. (lire en ligne)
Recueil d'articles sous la direction de René Martin
Marie‐Pierre Noël, « Élissa, la Didon grecque, dans la mythologie et dans l’histoire », dans Les figures de Didon : de l’épopée antique au théâtre de la Renaissance, Montpellier, Université de Montpellier, (lire en ligne).
Jean-Michel Croisille, "Didon et Énée dans l'art romain", in Mélanges J.O.Ruiz, Helmantica, XLV,136-138, 1994, p.165-176 (à propos notamment des fresques de Pompéi).
(de) Gerhard Herm(de), Die Phönizier : Das Purpurreich der Antike, Reinbek, Rowohlt, .
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(it) Ettore Stampini, Alcune osservazioni sulla leggenda di Enea e Didone nella letteratura romana, , 50 p..