L'activité des groupes Medvedkine constitue une expérience sociale audiovisuelle menée par des réalisateurs et techniciens du cinéma militant en association avec des ouvriers de la région de Besançon et de Sochaux entre 1967 et 1974. Pendant cette période, les films réalisés par les ouvriers sont produits et distribués par la société de production indépendante ISKRA-SLON fondée par Chris Marker et Inger Servolin[1].
Le nom des deux groupes a été choisi en hommage au travail du réalisateur soviétique Alexandre Medvedkine.
En , le cinéaste Chris Marker reçoit une lettre du CCPPO (centre culturel populaire) qui participe à l'animation de l'occupation de l'usine Rhodiaceta, lui demandant de leur envoyer des films[2]. Durant l'occupation de l'usine, le comité de grève souhaite en effet développer l'animation culturelle notamment par la diffusion de films militants. Chris Marker accepte et fait le voyage de Paris à Besançon où se situe l'usine, en transportant plusieurs bobines de films. Une fois sur place, il sort sa caméra 16 mm et commence à filmer de l'intérieur la grève des Rhodiaceta.
À bientôt, j'espère sera présenté à la télévision française au printemps 1968. Mais cette rencontre va surtout déboucher sur la création de deux groupes d'ouvriers et techniciens du cinéma mettant leur pratique en commun pour la création de films militants : le groupe Medvedkine de Besançon, puis plus tard celui de Sochaux. Jacques Mandelbaum écrit :
« Un chapitre exemplaire du cinéma dit militant s'écrit et se filme là, dans l'est de la France, au cœur de ces usines, conférant à ce genre vilipendé (souvent, il faut le reconnaître, à juste raison) des lettres de noblesse qu'on ignorait et qu'on redécouvre avidement aujourd'hui, à la faveur d'un temps que même l'espoir a déserté[3]. »
A bientôt j'espère (1967-68 / 16 mm / noir & blanc / 44 minutes) : film fondateur du groupe Medvedkine de Besançon, réalisé par Chris Marker et Mario Marret. Images de Pierre Lhomme, Antoine Bonfanti, Paul Bourron, Harald Maury et Bruno Muel. Son de Michel Desrois. Montage par Carlos de Los Llanos.
La Charnière (1968 / 16 mm / son seul / 13 minutes) : ce film sans image enregistré et monté par Antoine Bonfanti (avec ajout d'un texte écrit et lu par Paul Cèbe) restitue une partie du débat issu de la projection publique à Besançon du film A bientôt j'espère
Classe de lutte (1968 / 16 mm / noir & blanc / 37 minutes)[4]
Rhodia 4 x 8 (1969 / 16 mm / noir & blanc / 4 minutes)
Nouvelle société n° 5: Kelton (1969-1970 / 16mm / noir & blanc / 8 minutes)
Nouvelle société n° 6: Biscuiterie Buhler (1969-1970 / 16mm / noir & blanc / 9 minutes)
Nouvelle société n° 7: Augé Découpage (1969-1970 / 16mm / noir & blanc / 11 minutes)
Le Traîneau-Échelle (1971 / 16 mm / couleur / 8 minutes) : réalisé par Jean-Pierre Thiébaud, peut-être avec l'aide de Valérie Mayoux pour la bobine définitive
Lettre à mon ami Pol Cèbe (1971 / 16 mm / couleur / 17 minutes) : réalisé par Michel Desrois. Image : José They. Son : Antoine Bonfanti
La naissance de ce groupe est postérieure à celle de Besançon dans la foulée de mai 68 et après la réalisation du film Sochaux, en grande partie réalisé par le groupe de Besançon. Il s'agit essentiellement de jeunes militants ouvriers travaillant dans l'usine Peugeot qui se forment en collectif informel autour de Pol Cèbe et de Bruno Muel avec l'aide épisodique du cinéaste Chris Marker. D'après Christian Corouge, l'un de ses membres, le groupe de Sochaux était très différent de celui de Besançon :
« Nous étions un peu plus jeunes. Nous étions tous sous l'influence du mouvement de Mai, déjà politisés avant même d'entrer dans le monde du travail. Nous n'avions pas leur conception du militantisme. La nôtre était plus joyeuse, plus désordonnée. Nous voulions faire entrer la littérature, le théâtre, le cinéma dans les usines comme autant de moyens d'en sortir les ouvriers […][5]. »
Bruno Muel raconte dans la revue Images documentaires la genèse du projet : « Nous étions plusieurs “Parisiens” à avoir déjà fait le voyage pour rencontrer les grévistes, leur rapporter notre soutien en filmant et photographiant, en leur donnant aussi des conseils pour filmer et photographier par eux-mêmes[6]. »
Sochaux, (1970 / 16 mm / noir & blanc / 20 minutes) réalisé par Bruno Muel assisté de Michel Desrois. Montage : Marie-Noëlle Rio. Premier film du groupe Medvedkine de Sochaux, ce film relate l'un des épisodes les plus violents de Mai 68: l'assassinat de deux ouvriers de l'usine Peugeot par une brigade de CRS lors d'affrontements le . Le film sera projeté deux ans plus tard, le , dans une salle de cinéma située face de l'usine, lors de la journée de commémoration de la mort des deux ouvriers.
Les 3/4 de la vie (1971 / 16 mm / noir & blanc et couleur : 18 minutes)
↑« Alexandre Medvedkine, locomotive de l’agitprop », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le ).
↑Xavier Vigna, « Les Groupes Medvedkine, Besançon et Sochaux », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, en ligne, 99 | 2006, mis en ligne le 22 juin 2009, consulté le 28 août 2019.
René Vautier, « Le groupe Medvedkine. Entretien avec Pol Cèbe », Cinéma 70, no 151, , p. 92
Les Groupes Medvedkine, collection « Le geste cinématographique » (dirigée par Patrick Leboutte et Marc-Antoine Roudil), coédition Iskra / Éditions Montparnasse
Bruno Muel, « Les riches heures du groupe Medvedkine (Besançon-Sochaux, 1967-1974) », Images documentaires, nos 37-38, , p. 15-36 (lire en ligne)