Le couple, fusionnel, reste particulièrement attaché à sa famille, ses amis et ses proches. Il ne se passe d’ailleurs pas une seule journée sans que l’un ou l’autre des époux ne s’échange des lettres quand Isidor Straus est amené à devoir s’absenter dans le cadre de ses fonctions politiques — en qualité de représentant[note 1] du 15e district de l’État de New York siégeant au Congrès américain pour le compte du Parti démocrate[note 2] — ou de celui de ses affaires et activités professionnelles liées à la chaîne de magasins de vaisselle Macy’s dont il est copropriétaire aux côtés de son frère homme d’affaires et philanthrope Nathan Straus.
Au début de l’année 1912, Isidor et Ida Straus voyagent en Europe à bord du paquebot USS America affrété par Hapag-Lloyd ; ils sont accompagnés de leur petite-fille âgée de quinze ans : Beatrice Hess. En effet, sa mère Sara Straus — ainée des enfants, qui a épousé le Dr Alfred Fabian Hess — souhaite que sa fille Beatrice effectue un stage en Allemagne durant quelque temps pour y perfectionner sa maîtrise de la langue allemande, en sus de lui permettre de mieux appréhender les racines de son atavisme, sachant que la famille Straus est juive d’origine allemande.
Ida et Isidor Straus confient donc leur petite-fille Beatrice Hess à de la parenté en Allemagne.
Bien que, par principe, Isidor et Ida Straus choisissent d’ordinaire de toujours voyager sur des cargos estampillés allemands, ils sont inopinément confrontés à un impondérable[Lequel ?] qui les amène finalement à embarquer sur le voyage inaugural d’un tout nouveau navire pour envisager leur retour aux États-Unis : le Titanic.
Ida et Isidor Straus, accompagnés de leur nouvelle femme de chambre Ellen Bird[H 1] et de leur majordome John Farthing, embarquent le à bord du Titanic, sur le quai de Southampton. Ils y occupent la suite C-55/57 avec, pour numéro de ticket commun, le 17 483 PC[4],[H 2].
Lors du naufrage, Isidor et Ida Straus sont aperçus près du canot no 8 en compagnie de leur femme de chambre : Miss Ellen Bird[5]. Bien que l’officier responsable de l’embarcation invite le couple âgé à monter conjointement à bord de l’embarcation avec leur bonne, Isidor Straus décline résolument cette offre, arguant de cette tirade : « Je ne vaux pas mieux qu’un autre ». De ce fait, il affirme refuser de prendre indûment la place de qui que ce soit « aussi longtemps qu’il y aura encore des femmes et des enfants sur le navire[trad 4] ». Il insiste alors pour que sa femme monte à bord, mais elle lui oppose alors catégoriquement une fin de non-recevoir, lui rétorquant tout de go : « Nous avons vécu ensemble pendant de nombreuses années. Où que tu ailles, je te suivrai[trad 5],[6] ! ». Ses paroles sont clairement perçues et enregistrées par l’ensemble des passagers se trouvant déjà sur la chaloupe, ainsi que par ceux alentour qui restent encore dans l’expectative de pouvoir bénéficier d’un canot de sauvetage. Ida Straus fait alors cadeau de son manteau de fourrure à sa femme de chambre[H 3], en lui disant : « Prenez ce manteau, vous en aurez bien plus besoin que moi[trad 6],[H 4] ».
Le film Titanic de James Cameron, sorti sur les écrans en 1997, montre ensuite une scène quelque peu « romancée » : tout le vacarme du naufrage s’estompe subrepticement — pour ne laisser place qu’à la seule musique éthérée d’un cantique : Plus près de toi, mon Dieu[trad 7], de Sarah Flower Adams, interprété par l’orchestre du Titanic — pendant que l’on voit Ida et Isidor Straus tendrement enlacés et allongés dans leur cabine, vivant leurs derniers instants, voués en quelque sorte à l’étreinte de l’ultime adieu, alors que l’eau commence inexorablement à les engloutir.
Dans l'histoire réelle, Isidor et Ida Straus sont encore aperçus une dernière fois sur le pont du bateau, paisiblement assis côte à côte sur les transats du Titanic lorsque, soudain, une énorme vague déferle sur eux, les emportant conjointement et à jamais dans les méandres abyssaux du tombeau océanique[H 5],[H 6].
Lorsque les survivants de la catastrophe arrivent à New York à bord du Carpathia, ils sont nombreux à témoigner aux journalistes — Miss Ellen Bird[5] la première — de la loyauté indéfectible et de la fidélité jusqu’au-boutiste de Madame Ida Straus envers son mari[H 7]. Cette histoire provoque un émoi considérable au sein de la communauté juive[3]. Et pourtant, de nombreux journaux américains et britanniques se bornent à ne souligner que le seul dévouement admirable et prétendument bien-pensant de nombreux hommes « chrétiens » « de race blanche » qui se seraient volontairement sacrifiés en restant à bord, à dessein de permettre aux femmes et enfants de bénéficier des canots de sauvetage. Inversement, les « lâches » qui auraient paniqué ou tenté à tout prix de sauver leurs vies sont arbitrairement étiquetés de « latino », « italiens », « étrangers » ou « juifs »… ce qui, paradoxalement, n’empêche pas ces mêmes journaux de louer le valeureux courage de plusieurs victimes — telles que Benjamin Guggenheim, par exemple — en les assimilant ostentatoirement à une bravoure « anglo-saxonne » exemplaire, passant ainsi sciemment outre sur leurs racines juives.
Ainsi, aux yeux de la communauté juive, le cas d’Ida Straus n’incarne pas seulement l’apanage d’une femme éminemment courageuse, mais également celui d’une fidélité hors norme alliée à un sens de l’engagement inébranlable qui l’ont amenée à refuser envers et contre tout d’abandonner son mari, même en étant confrontée à la perspective d’une mort inéluctable. De nombreux rabbins, lors de leurs congrégations, témoignent de son abnégation paroxystique ; plusieurs articles lui sont également consacrés en langue yiddish et en allemand ; diverses parutions rendent hommage à ses mérites ; une chanson est même composée en son honneur, The « Titanic »'s Disaster[note 3],[3], dont les paroles mettent en exergue les derniers instants vécus par le couple Straus. Cette chanson acquiert une certaine notoriété et popularité auprès de la population juive américaine.
Si le corps d’Isidor Straus a pu être identifié et rapatrié aux États-Unis[note 6], la dépouille d’Ida Straus, elle, n’a jamais été retrouvée.
Quatre épitaphes sont dédiées à Isidor et Ida Straus dans leur pays et ville d’adoption à New York :
jusqu’en 2005, une plaque commémorative est affichée à l’étage principal des magasins Macy’s de Manhattan[8], avant d’être restituée aux descendants de la famille Straus, lorsque la zone de construction est réaménagée ;
un « memorial » dédié à Isidor et Ida Straus, au sein du Straus Park(en), sis à l’intersection de Broadway et de West End Avenue(en), au W. 106th Street (Duke Ellington Boulevard) de Manhattan ;
une école publique de New York, dans le quartier de Manhattan : Public School 198, Isador E. Ida Straus[1] ;
(en + yi + he) Solomon Smulewitz et Heny A. Russoto (ill. J. Keller), Der Naser Keiver : Churban Titanic [« The « Titanic »’s Disaster / Urban Titanic »], Repository Special Collections Department, Mississippi State University Libraries Digital Publisher Mississippi State University Libraries (electronic version), New York, Hebrew Publishing Company, 50-52 Eldrige, New York, 1912, Hebraic Section, coll. « Original collection Charles H. Templeton, Sr. sheet music collection » (no 32278009433099), (réimpr. 19 avril 2007, en édition électronique) (1re éd. 1912), 3 p. (présentation en ligne, lire en ligne [[PDF]])|
(en) John P. Eaton et Charles A. Haas, Titanic : Triumph and Tragedy, W.W. Newton & Company, (réimpr. 1995), 2e éd. (1re éd. 1986), 352 p. (ISBN978-0-393-03697-8, 0393036979 et 0-393-036979)
Joan Adler, Many waters cannot quench love – neither can the floods drown it, Smithtown, NY, Straus Historical Society, Inc., , [doc] (lire en ligne).
[NWCTB 85 T715] National Archives, List or Manifest of Alien Passengers for the United States Immigration Officer At Port Of Arrival, vol. 4183 : Contract Ticket List, White Star Line 1912, New York, National Archives, coll. « Ship: Carpathia », , « NRAN-21-SDNYCIVCAS-55[279] »
Colonel Archibald Gracie IV, The Truth about the « Titanic », Mitchell Kennerly, (présentation en ligne)
(en) Eve M. Kahn, « Titanic Centennial: Salvage and Memories », New York Times, New York « Antiques », (ISSN0362-4331, lire en ligne [html])
(en) Mark Baber, « Ida Strauss estate $260,000 », New York Times, New York « Antiques », (ISSN0362-4331, lire en ligne)
↑ ab et cLa partition musicale de la chanson intitulée The « Titanic »’s Disaster / Urban Titanic[trad 8],[trad 9],[trad 10] » est désormais libre de droit. Numérisée et éditée électroniquement au format pdf, elle peut être consultée en ligne[H 8] : (en + yi + he) Solomon Smulewitz et Heny A. Russoto (ill. J. Keller), Der Naser Keiver : Churban Titanic [« The « Titanic »’s Disaster / Urban Titanic »], Repository Special Collections Department, Mississippi State University Libraries Digital Publisher Mississippi State University Libraries (electronic version), New York, Hebrew Publishing Company, 50-52 Eldrige, New York, 1912, Hebraic Section, coll. « Original collection Charles H. Templeton, Sr. sheet music collection » (no 32278009433099), (réimpr. 19 avril 2007, en édition électronique, au format pdf) (1re éd. 1912), 3 p. (présentation en ligne, lire en ligne [[PDF]])
↑La plaque commémorative — en hommage à Isidor et Ida Straus — apposée à l’étage principal des magasins Macy’s de Manhattan a été restituée aux descendants de la famille Straus en 2005, lorsque la zone de construction a été réaménagée.
↑ ab et cLe prénom « Isidor » est alternativement rédigé avec un « k » terminal, « Isidork », voire un « a » intercalaire en lieu est place du « i » : « Isador[1],[3] ». Le nom de famille « Straus », selon les sources, s’écrit parfois avec deux « s » : « Strauss ».
↑ a et bLe navire britannique CS Mackay-Bennett a été spécifiquement mandaté par la White Star Line pour repêcher les dépouilles des victimes du naufrage du Titanic survenu en avril 1912.
↑Dans la comédie musicale Titanic, au moment où Ida décide de rester aux côtés de son mari, le couple entonne une mélodie en duo intitulée : Still.
↑(en) Adler 2001, p. 1 et 2. Peu avant d’embarquer sur le Titanic, Ida Straus adresse une lettre à ses enfants dans laquelle elle leur écrit ceci, après avoir eu quelques soucis avec les employées précédentes : « I have engaged a nice English girl now but as with the other do not know whether I can count on her. »
↑(en) Adler 2001, p. 2. « Isidor and Ida Straus were booked on the maiden voyage of the Titanic along with Ida’s new English maid, Ellen Bird, and Isidor’s valet, John Farthing. They boarded in Southampton England on April 10th, 1912 after having been issued ticket number 17483. »
↑(en) Kahn 2011 : « Mrs. Straus gave Ellen Bird a fur coat for the lifeboat ride […] »
↑(en) Adler 2001, p. 2. « Ida Straus gave Ellen Bird her fur coat saying: "I won’t be needing this". »
↑(en) Kahn 2011 : « Mrs. Straus […] headed back to die with her husband. »
↑(en) Adler 2001, p. 2. « Ida Straus refused to leave her husband’s side, refused a seat in a lifeboat, and perished with him. »
↑(en) Baber 1912. « Two affidavits were filed with the petition. They were made by Mrs. Ellen Bird and A. Bjornston Steffanson, who were passengers on the Titanic, and who were rescued by the Carpathia. Mrs. Ellen Bird testified that Mrs. Ida Straus remained with her husband when other women were being taken from the sinking ship. A. Bjornston Steffanson testified merely that the Strauses were aboard the Titanic and not aboard the Carpathia. »
↑ abc et d(en) Ancestry.com, « Rosalie Ida Blun (1849 – 1912) », id 4039354, sur records.ancestry.com, Ancestry.com, in partnership with Historical Society of Pennsylvania, (consulté le ). « Born in Worms, Rheinhessen, Hessen, Germany on 1849 to Markus Blun and Wilhelmine Freidenberger. Rosalie Ida married Isidor Straus and had 7 children. She passed away on 15 April 1912 in Off Coast Newfoundland-Titanic. ».
↑ abc et d(en) The American-Israeli Cooperative Enterprise, « Judaic Treasures of the Library of Congress: Immigrant Music », The Library, sur jewishvirtuallibrary.org, Jewish Virtual Library : A Division of The American-Israeli Cooperative Enterprise (AICE), (consulté le ). « The sinking of the super trans-Atlantic liner, the Titanic, was a tragedy that engulfed all of America. The Jewish community was particularly touched by the drowning of Ida Straus, who refused a place on a lifeboat reserved for women and children, choosing to share the fate of her husband, Isidor Straus. The drawing by J. Keller portrays an angel placing the wreath of immortality on their heads. » Source: Abraham J. Karp, from the Ends of the Earth: Judaic Treasures of the Library of Congress (DC: Library of Congress, 1991).
↑[NWCTB 85 T715] National Archives, List or Manifest of Alien Passengers for the United States Immigration Officer At Port Of Arrival, vol. 4183 : Contract Ticket List, White Star Line 1912, New York, National Archives, coll. « Ship: Carpathia », , « NRAN-21-SDNYCIVCAS-55[279] »
↑Dans son numéro paru le 20 avril 1912, le quotidien français Excelsior publie toute une série de dessins illustrant les témoignages de survivants. Paul Thiriat, auteur de l’image représentant Isidor et Ida Straus, enlacés sur le Titanic en perdition, en commente le contenu en ces termes : « Madame Ida Straus n’aurait jamais pu ne serait-ce même qu’envisager un seul instant de partir sans son mari ou de le laisser seul sur le bateau. » Cf. témoignage oral de M. Thornton relatant les derniers instants du couple Isidor et Ida Straus sur le Titanic : (en) Paul Thiriat, « Mrs Straus would not leave her husband », Excelsior, encyclopedia titanica « Coll. Olivier Mendez », (lire en ligne).
↑(en + he) Solomon Smulewitz et Henry A. Russoto, חורבן טיטאניק, אדער דער נאסער קבר [« (yi) Der Naser Keiver — oder — Churban Titanic »], vol. C-76 394 : CIN Special Collections, Hebrew Publishing, coll. « Treasures of the American Performing Arts, 1875-1923 », (réimpr. 19 avril 2007), ill. ; 34 cm. (présentation en ligne). Nota bene : pour pouvoir accéder aux références et détails descriptifs relatifs à la version en hébreu, il convient d’insérer un copier-coller conforme du titre חורבן טיטאניק, אדער דער נאסער קבר dans la case Words, de sélectionner l’option Title dans le menu déroulant, puis de cliquer sur l’onglet Search.
↑(en) Jason D. Tiller, « Straus memorial », RMS Titanic facts and history: Titanic passenger and crew biography..., sur Encyclopedia Titanica, Encyclopedia Titanica, (consulté le ) : « Their lives were beautiful and their deaths glorious ». This tablet is the voluntary token of sorrowing employees.