L’inceste est un rapport sexuel entre apparentés, frappé d'interdits variables selon les époques, les pays, la nature des liens de parenté, l'âge, les lois en vigueur. Ce peut être une relation entre membres d'une même famille dont le degré de parenté ou d'alliance interdit le mariage civil ou religieux.
En dépit de cette prohibition théorique, les victimes d'inceste, généralement des femmes, sont nombreuses dans toutes les sociétés, les agresseurs étant dans la très grande majorité de sexe masculin. Les souffrances causées aux victimes d'inceste ne sont généralement pas visibles au moment de l'acte, mais elles le deviennent par la suite, en particulier à travers des tentatives de suicide.
Le mot inceste vient du latin incestum : souillure, à rapprocher de incesto : rendre impur[2]. Cette étymologie rappelle que l'interdit social est accompagné d'une forte répression culturelle qui fait de l'inceste un tabou. Il en ressort un principe implicite que l'on retrouve dans le langage courant puisque le terme peut aussi être employé de manière métaphorique pour décrire une relation mal venue entre deux entités très proches (par exemple deux entreprises).
L'inceste qualifie les « relations sexuelles prohibées entre parents très proches »[3], entre parent et enfant, entre enfants d'une fratrie (y compris demi-frère et demi-sœur), entre grand-parent et petit-enfant, ou encore entre oncle ou tante et neveu ou nièce, voire selon certains entendements entre cousins. La définition fournie par l'anthropologue Dorothée Dussy insiste sur la notion de « pratiques sexuelles imposées à un enfant de sa propre famille »[4].
Autrement défini, l'inceste désigne une relation sexuelle lorsqu’elle a lieu dans le cadre d'une parenté qui interdit le mariage, ce qui peut alors impliquer les filiations par alliance ou l'adoption.
L'inceste est défini par une norme sociale fondamentale relative à la famille mais dont l'application formelle dépend de l'autorité à laquelle on se réfère :
Ces différentes formalisations ne sont pas nécessairement concordantes puisque les religions ne définissent pas systématiquement tout ce qui tient de l'inceste, pas plus que le droit. Par exemple en droit français, c'est l'abus sexuel sur mineur qui était pris en compte, aggravé lorsqu’il s'agit d'une « personne ayant autorité »[5], mais indépendamment des liens de parentés jusqu'à une nouvelle loi de 2016[6].
À l'échelle individuelle, l'inceste est étudié en psychologie selon de multiples approches, allant de la recherche de cause de pathologie psychique comme l'a fait Freud dans sa théorie de la séduction en 1896, jusqu'à la conceptualisation d'un mécanisme incestuel qui « édicte comme tabou non pas l'inceste mais la vérité sur l'inceste »[7] comme le formalise Paul-Claude Racamier[8].
Claude Lévi-Strauss a théorisé l'existence d'une prohibition de l'inceste dans toutes les sociétés connues[9] : cette norme sociale serait pour l'anthropologie un sujet majeur au point de fonder la culture et structurer les sociétés[10].
Le thème est présent au niveau anthropologique chez Sigmund Freud dans son ouvrage Totem et Tabou (1913) ; dans le cadre de la sexualité infantile, il se retrouve au moment du complexe d'Œdipe, théorie controversée aujourd'hui par certains auteurs.[réf. nécessaire]
Il existe deux grandes catégories d'inceste : des incestes non-consentis, très généralement dans lesquels un adulte abuse d'un enfant (formant la très grande majorité des cas d'inceste), et une minorité d'incestes décrits comme consentis, voire revendiqués[11].
Aubry et Lopez distinguent trois formes d'inceste subies par les enfants[12] :
Raimbault, Ayoun et Massardier proposent une autre classification, en fonction du sexe et de la position de l'agresseur dans la famille. Ils distinguent ainsi l'inceste père-fille (le plus fréquent), fille-père, mère-fils, fils-mère (le plus rare), père-fils et mère-fille[14].
Il existe une riche littérature à propos des hommes incesteurs[15], mais avec un biais important du fait que la majorité d'entre eux échappent à la justice, ces études étant menées sur des hommes incarcérés[16]. Ces études montrent que le sadisme est très minoritaire, et que la grande majorité des hommes incesteurs (80 %) se limitent aux attouchements sexuels sur leurs victimes[17]. Elle souligne aussi la spécificité des perceptions et des jugements mobilisés par les hommes pour justifier leurs agressions sexuelles, en prêtant des intentions erronées à leurs victimes et en minimisant la portée de leurs actes incestueux, ce qui leur permet de « justifier leurs actes déviants sans en ressentir d'anxiété, de culpabilité ou de baisse d'estime de soi »[18].
Une typologie des femmes agresseures sexuelles a été établie par Mathews et al. en 1989[19]. Ils identifient quatre catégories[19] :
D'après Jean-Jacques Geoffroy, les incestes père-fille constituent la grande majorité des cas d'incestes traités parmi les affaires judiciaires, soit environ 95 %[20]. C'est aussi ce que note l'historienne Fabienne Giuliani, l'examen des archives françaises du XIXe siècle révélant une prédominance d'incestes père-fille avec l'aînée de la fratrie, présentée comme une épouse de substitution[21]. Dans la littérature médiévale, l'inceste père-fille est présenté comme un acte de luxure plutôt qu'un crime, et la fille est présentée comme consentante, voire comme participante active[22].
Une fille victime d'inceste par son père ou son frère est rarement bien défendue, ne serait-ce que du fait qu'aucun mythe (tel celui de l'Œdipe) n'existe pour la protéger, mais aussi car l'histoire du genre féminin s'est construite sur la base d'une soumission à l'autorité masculine, favorisant la réduction de ces victimes au silence[23].
D'après Patrick Alvin, les incestes père-fille (de même que si l'agresseur est le grand-père ou l'oncle) suivent un scénario-type : la victime a de l'affection pour son père, mais ce dernier met en place un jeu séducteur ou une menace, auxquels l'enfant répond, incrédule et « sans penser à mal »[24]. La victime tombe ensuite sous l'emprise affective du père qui, de séducteur, devient intrusif puis violeur au moment de la puberté[24]. Les transgressions du tabou de l'inceste s'effectuent lorsque la fille est seule avec son père, sans témoins[24]. Cela assimile l'inceste à un secret de famille partagé entre la victime et l'agresseur[24]. Le père multiplie ensuite les formes de mensonge, de menace et de chantage afin de préserver ce secret, créant un sentiment de honte, de complicité et de culpabilité partagée chez sa victime[24].
D'après différents auteurs, la clinique montre que l'inceste d'une mère sur un fils est beaucoup plus fréquent que sa forme inverse (celle où un fils séduit sa mère), mais aussi que cette fréquence est largement sous-estimée dans l'opinion publique[23],[25]. Plusieurs explications à cette sous-estimation sont avancées, dont la croyance selon laquelle la victime ne puisse être qu'une fille agressée par son père, l'habitude de réduire l'inceste aux relations sexuelles génitales imposées[26], l'idéalisation de la fonction maternelle[25] et la résistance sociétale à reconnaître les manifestations sexuelles et les conduites agressives émanant de femmes[27]. Dussy souligne aussi un manque d'études relatives aux femmes auteurs d'abus sexuels sur enfants, la proportion de garçons abusés par leur mère montant statistiquement jusqu'à 24 %[28].
Les agressions sexuelles par des femmes adultes sont souvent subtiles et masquées, ce qui conduit à une grande difficulté pour les garçons victimes à identifier l'abus sexuel[27]. Le maternage pathologique, une forme d'inceste mère-fils[13], consiste à s'introduire dans l'intimité du garçon victime en lui prodiguant des « soins » injustifiés qui apportent une satisfaction sexuelle : introduction de suppositoire, toilettes, bains et massages avec manipulation des organes génitaux, pouvant déboucher sur une relation sexuelle à l'adolescence ou à l'âge adulte[13]. Peu connue, cette forme d'inceste entraîne les mêmes souffrances chez les garçons victimes que des formes d'inceste avec pénétration génitale[13],[29]. Dussy souligne également que les abus sexuels commis par des femmes sont aussi violents, intrusifs et sérieux que ceux commis par des hommes[30]. Les femmes abuseures manifestent des conduites agressives allant jusqu'à l'expression d'une satisfaction face à la souffrance de leurs victimes[19].
La forme d'inceste dans laquelle un fils séduit volontairement sa mère est rarissime selon Raimbault, Ayoun et Massardier, qui déclarent n'en trouver aucune trace dans les annales médico-judiciaires et dans les travaux de spécialistes[14]. Sa seule mention figure dans la Psychopathia sexualis (1886), qui l'atteste parmi quelques familles qui vivent dans l'isolement rural[31]. Le mythe fondateur de l'interdit de l'inceste (le mythe d'Œdipe) porte sur cette forme spécifique[31].
La prédominance d’une psychopathologie est plus importante dans les cas d’inceste père-fils que dans toutes les autres combinaisons à l’exception de l’inceste sœur-sœur. Le fils d’un père abusif peut commencer à avoir des accidents semblant menacer sa survie : blessure par balle dans la poitrine infligée délibérément par un ami, des brûlures après avoir menti sur un registre, la chute d’un toit, et un ensemble de blessures aux mains et aux genoux qui peuvent donner des indices sur les antécédents psychosociaux et la personnalité du père là où l’interaction dysfonctionnelle de la famille est un élément-clé dans l’inceste père-fille[32].
Une série d'études concordantes établissent que les abus sexuels entre membres d'une même fratrie sont plus fréquents et généralement plus longs et non moins traumatisants que ceux commis par les parents[33]. Environ un tiers des incestes sont commis dans la fratrie[34]. La plupart des agresseurs sont enfants ou adolescents au moment des premiers abus[35].
L'étude des abus sexuels dans la fratrie se heurte à un courant d'opinion de psychiatres qui affirment qu'ils n'existent pas, et qu'il s'agit uniquement de jeux sexuels entre enfants[36]. L'écart d'âge est notamment mobilisé dans ce débat, plus l'écart étant important et plus l'inceste étant susceptible d'être caractérisé[36]. Il existe cependant une littérature de témoignages de survivants et survivantes d'incestes dans la fratrie par des proches en âge, qui montrent des souffrances équivalentes à celles de personnes incestées par des proches plus âgés[36]. Une autre opinion considère que l'impossibilité d'une pénétration suffirait à ne pas caractériser l'abus sexuel, mais le changement de point de vue (celui de la personne qui subit l'inceste) permet de caractériser l'existence de manipulations par les membres plus âgés de la fratrie afin d'imposer aux plus jeunes d'effectuer des fellations ou des masturbations[37]. Dussy les décrit à ce titre comme des exercices de domination des plus âgés sur leurs cadets[38]. Elle note qu'il n'existe aucun cas documenté d'un point de vue sociologique d'inceste entre jumeaux ou cousins du même âge[38], ce qui est cliniquement discutable car des cas existent[réf. nécessaire].
La notion d'« inceste consenti » est polémique.
Fabienne Giuliani souligne la difficulté à l'appréhender, en raison de la très grande hétérogénéité des situations et de l'assimilation fréquente à un secret de famille[21]. Pour elle, la différence essentielle entre inceste consenti et inceste criminel réside dans le lien de subordination de la victime, dans le cas de l'inceste criminel[21]. Aubry et Lopez soulignent qu'il existe une forme de ritualisation de mariages consanguins et incestueux entre frères et sœurs ou apparentés en Grèce antique, en Égypte, chez les Incas et à Hawaï[39].
Pour le psychologue Jean-Luc Viaux, l'inceste consenti n'existe pas : « les cas cliniques et judiciaires dans lesquels l’allégation d’inceste consenti a été énoncée montrent que l’inceste n’est en fait jamais consenti pour ce qu’il est concrètement : un acte sexuel entre deux personnes interdites de mariage, mais qu’il est toujours une violence absolue dont la mentalisation ne vient que longtemps après »[40].
D'après l'anthropologue et psychologue Illel Kieser 'l Baz[41], la perception de l'ampleur des cas d'inceste est masquée par quelques procès médiatiques[42]. Il estime que les cas d'inceste non consenti « se généralisent de manière ophidienne »[42].
« [...] l'inceste est structurant de l'ordre social. Il apparaît aussi comme l'outil primal de formation à l'exploitation et à la domination de genre et de classe »
— Dorothée Dussy, Le berceau des dominations[43]
Une difficulté pour établir des statistiques réside dans la prise en compte de la parole des enfants et le fait qu'ils puissent mentir[44]. Une autre difficulté provient du fait que les enfants victimes d'abus par des adultes ont souvent perdu confiance en les adultes[44]. Concernant les adultes victimes dans l'enfance, c'est le tri entre les faux souvenirs induits et les souvenirs réels d'actes incestueux qui complique la prise en compte, bien qu'il existe des différences notables entre vrais et faux souvenirs[45].
Les hommes sont largement majoritaires parmi les coupables d'inceste ; cependant, l'inceste commis par des femmes est « l'objet d'un tabou plus important encore »[46]. D'après l'enquête conduite en France par l’Institut national d'études démographiques auprès de 27 000 personnes en 2015, 96 % des incesteurs sont des hommes[47]. D'après le juge pour enfants Édouard Durand, tous les incesteurs tentent de se défendre en déclarant que l'enfant les a séduits[48].
En France en 2022, environ une personne sur dix a été victime d'inceste, ces personnes étant réparties parmi toutes les classes sociales[48].
Selon un sondage commandité par l'association Internationale des Victimes de l’Inceste en 2009, la France comptait deux millions de victimes d’inceste, et 26 % des Français rapportaient connaître au moins une personne victime d’inceste dans leur entourage[49]. En 2015, l'AIVI commande un nouveau sondage à Harris Interactive, qui permet d'estimer que 6 % des Français sont survivants de l'inceste, soit environ 4 millions de personnes[50]. En prenant des statistiques par genre, 9 % des femmes françaises sont survivantes d'inceste[51]. Une enquête similaire réalisée par internet sur un échantillon de 1 033 personnes en 2020 évalue le chiffre à 6,7 millions de victimes[52]. L'association Face à l'inceste commande en 2020 une enquête[53] à l'institut Ipsos, révélant qu'un Français sur 10 se déclare victime, et que 78 % de ces victimes sont des femmes[54].
D'après l'association Mémoire traumatique et victimologie, dans près d'un cas d'agression sexuelle sur mineur sur deux, l'agresseur est un membre de la famille[55]. Le ministère de la justice constate que les cas d’inceste constituent 20 % des procès d’Assises et comptent pour 75 % des situations d’agressions sexuelles sur enfants et plus de 57 % des viols sur mineurs[56].
La création d’une commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants est annoncé par le président de la République le 23 janvier 2021. Edouard Durand, juge des enfants et Nathalie Mathieu, directrice générale de l’association Docteurs Bru sont nommés en tant que présidents. Le rapport publié en novembre 2023[57] indique que 160 000 enfants sont victimes d'agression sexuelles par an et dans 81% des cas, l’agresseur est un membre de la famille.
D'après Isabelle Aubry (présidente de l'Association internationale des victimes de l'inceste, AIVI) et le médecin psychiatre victimologue Gérard Lopez « toutes les théories antivictimaires qui minimisent la fréquence ou la gravité [de l'inceste] rencontrent un franc succès alors que sa dénonciation déclenche un sentiment de malaise »[58]. D'après El Baz[41], « la transgression du tabou de l’inceste et la pédocriminalité sont un problème de civilisation »[59]. Il ajoute que cette transgression du tabou « a toujours existé et reste largement tolérée »[60].
« La transgression du tabou de l’inceste n’est pas un phénomène isolé. C’est un fait marquant, généralisé, global et il serait irresponsable de ne voir là qu’un phénomène lié à la grande criminalité. Toute la planète est concernée par le phénomène. »
— Illel Kieser 'l Baz[61]
Le crime d’inceste existe parmi « toutes les couches de nos populations », le plus souvent sans être signalé comme tel[62]. El Baz voit dans le profil des incesteurs une partie de l'origine du tabou de l'inceste : les coupables sont généralement des personnes « au-dessus de tout soupçon », ce qui provoque une sidération et un déni de l'entourage lorsque les faits sont mis en évidence[63]. Il souligne l'absence d'études sociologiques sur le profil de l'adulte incesteur, ce qu'il attribue à un « résultat probable du silence, de la honte et du désintérêt »[64]. Cette absence ne permet pas de cerner la personnalité et le profil des incesteurs, ni de l'associer par exemple à la figure du pervers narcissique[65]. Si El Baz témoigne que le profil du manipulateur se retrouve dans certaines affaires d'inceste, il réfute que tous les incesteurs puissent avoir ce profil[66]. Par ailleurs, l'incesteur « mobilise toute son intelligence au service de son vice », exerçant ainsi une influence sur son entourage[67].
Juliet Drouar et Edouard Durant réfutent que l'inceste appartienne au registre de l'amour, l'incesteur tirant du plaisir de la domination et de la violence sur sa victime[48]. L'emprise des adultes incesteurs sur les enfants victimes est marquée par « l'omniprésence du silence, de la domination et du chantage », ce qui pousse les victimes à « subir et se taire », et fait d'elles des proies que les coupables d'inceste réservent à la seule satisfaction de leur propre plaisir[68]. D'après El Baz, l'incesteur « sidère sa victime, il l’englobe dans sa perversité »[69].
Les victimes sont souvent accusées par leur propre famille lorsqu'elles osent témoigner[70]. D'après Aubry et Lopez, dans neuf cas sur dix, la famille proche exclut la victime d'inceste afin de préserver sa cohésion familiale[12]. El Baz souligne aussi la très faible mobilisation de la société française en faveur des victimes d'inceste, cette mobilisation étant beaucoup plus importante, par exemple, pour défendre des animaux maltraités ou menacés[71].
La révélation des faits, nécessaire à une reconstruction, est rendue très difficile par les tabous, voire par l'omerta entourant le sujet, ainsi que par les attitudes d'hostilité ou d'évitement des personnes prises pour confidentes[72]. Cette révélation est généralement très tardive[72]. En France, les plaintes des victimes sont déposées en moyenne 16 ans après les faits[72]. Les coupables ont une très forte tendance à nier ces faits, et surtout, dans 80 % des cas, à ne faire preuve d'aucun remords[72]. Les plaintes en justice sont peu fréquentes, du fait du dépassement du délai de prescription, de la peur d'un rejet par la famille ou de n'être pas cru, et les condamnations qui pourraient contribuer aux mécanismes de réparation sont rarissimes (moins de 1 % en France en 2009)[72]. Une partie de ces plaintes se retournent contre les accusateurs[73],[74]. L'une des raisons est l'impossibilité de retrouver des traces physiques des viols ou abus sexuels[73], une autre réside dans l'attitude de juges qui ont lu quelques ouvrages de psychologie et de psychanalyse en surface et prennent des décisions qui reflètent leurs propres projections[73]. Enfin, le délai de prescription entraîne des condamnations de victimes pour diffamation[74].
Citant les travaux de Marie Balmary, Jeffrey Moussaieff Masson et Sándor Ferenczi, Aubry et Lopez estiment que la théorie du complexe d'Œdipe, telle que l'a formulée Sigmund Freud, est en partie responsable du tabou sur la réalité de l'inceste, car « un ou des viols subis dans l'enfance peuvent être attribués à des fantasmes et non à la réalité », transformant « la faute parfois réelle des parents en faute des fils et des filles »[75]. Eva Thomas, victime d'inceste, partage cet avis, estimant que la conception du complexe d'Œdipe « transforme un crime en maladie à soigner » et a « englué les victimes dans la culpabilité »[76].
Les incestes non-consentis, ou « crimes d'inceste », sont essentiellement étudiés sous l'angle de la psychopathologie et du traumatisme psychique[11],[77]. La recherche scientifique a permis d'établir depuis longtemps qu'ils entraînent de lourdes répercussions chez les enfants qui en sont victimes[78],[79], plus profondes et plus graves que le viol dans la mesure où l'inceste concerne la famille proche, les agresseurs étant liés à la victime par des liens « de proximité, d'autorité, de confiance, de dépendance et d'amour »[80]. Le traumatisme est d'autant plus élevé qu'il s'accompagne souvent d'un sentiment de culpabilité[72],[81]. Édouard Durand note l'aspiration des victimes à ce que la justice leur soit rendue[48]. Les victimes d'inceste rencontrent de graves difficultés à faire entendre leurs témoignages et leurs souffrances, dans un contexte où les incesteurs imposent le silence à l'échelle de la famille, voire de la société[48].
Il existe un lien établi entre l'inceste subi dans l'enfance et le trouble de la personnalité borderline à l'âge adulte[82].
Hélène Romano en conclut que « beaucoup d’idées fausses courent sur la résilience des victimes d’inceste. Il ne faut pas les leurrer : on ne se « répare » jamais d’un inceste »[83]. El Baz note la présence de caractéristiques spécifiques aux adultes victimes d'inceste, que l'on retrouve chez les survivants de guerres ou d'exodes, notamment la présence d'une personnalité de surface, et un rapport perçu comme froid et distant avec autrui[84]. De plus, l'adulte victime d'inceste parental ne se construit pas en prenant ses parents pour modèles, mais en puisant parmi plusieurs modèles extérieurs[85]. Son image de lui-même est gravement altérée[85], de même que sa confiance en lui[86].
Il existe une forte occurrence de syndrome de stress post-traumatique chez les victimes d'inceste dans l'enfance[87] : d'après une étude avec groupe contrôle sur 97 femmes adultes, 62 % de ces femmes présentaient des symptômes de stress post-traumatique, alors que le groupe de contrôle n'en comptait pas[88]. En 2010, une étude sur 10 femmes adultes survivantes d'inceste montre que, bien que leur comportement soit dans l'ensemble plutôt stable et passif, deux ont un comportement proche des stéréotypes masculins, la moitié souffrent de traumatismes dus à des cauchemars répétés, et trois ont fait une tentative de suicide[89]
Il existe peu de documentation au sujet du risque d'alcoolisme chez les femmes survivantes d'inceste ; certaines femmes avec une histoire d'alcoolisme sont aussi des survivantes d'inceste, mais les causes n'en sont pas connues[90].[pas clair]
Hélène Romano estime que l'enfant victime d'inceste manifeste rarement « des troubles majeurs et envahissants, au moment même des faits, que les adultes autour de lui ne peuvent ignorer », du type scarification ou encoprésie ; le plus souvent, le comportement ne laisse rien paraître[83]. Des troubles plus importants peuvent apparaître plusieurs mois voire plusieurs années après le début du crime, en particulier au moment où la personne victime d'inceste réalise l'anormalité de ce qu'elle a vécu[83]. Cela peut se manifester par : « scarification, boulimie, addictions diverses, conduites à risque, tentatives de suicide, etc. »[83].
La vie entière des victimes d'inceste est perturbée[91],[48], avec perpétuation du traumatisme à travers des cauchemars et des souvenirs[48]. Ces répercussions portent aussi bien sur la santé psychologique que physique, avec des conséquences sur la vie sentimentale, professionnelle et familiale[55].
El Baz identifie deux grandes trajectoires de vie chez les survivants d'inceste : ceux qui cherchent à s'épanouir à travers des stimulations excessives, tentant diverses aventures sans discernement ; et des victimes au contraire très intériorisées, qui se protègent par excès de prudence, n'ont pas de vie sexuelle et souffrent généralement d'isolement et de solitude[92]. Il en conclut que la personne expérimente par intermittence un sentiment de soumission puis de rébellion[92]. Une étude sur 27 adolescentes victimes, publiée en 1985, montre qu'elles « ont réagi à leur expérience en adoptant des comportements auto-destructeurs tels que prise de substances toxiques, tentatives de suicide, perfectionnisme, isolement volontaire, ou dépressions »[93].
Les adultes victimes d'inceste dans l'enfance tendent d'après El Baz à attirer des profils de pervers narcissique, et ce genre de couple « peut durer assez longtemps pour faire illusion »[94]. La sexualité et la vie de couple sont particulièrement difficiles, dans la mesure où la trahison par les parents entraîne une grande difficulté à accorder sa confiance à autrui[85]. Une étude menée sur 92 femmes survivantes d'inceste montre une forte prévalence d'insécurité de l'attachement, qui « prédit la détresse, la dépression et les troubles de la personnalité, au-delà de tout effet de la gravité de l'abus »[95].
Le risque de suicide des victimes d'inceste est reconnu comme élevé[96], s'agissant d'un facteur historique de passage à l'acte suicidaire[97].
Dans les textes de la mythologie grecque collectés par Caius Julius Hyginus, les suicides de femmes sont plus nombreux que les suicides d'hommes, et « un grand pourcentage de ces suicides était lié à l'inceste »[98].
Une étude sur 2 ans, publiée par Jean Goodwin (M.D., M.P.H), portant sur 201 familles concernées par l'inceste et publiée en 1981, a révélé 5,4 % de tentatives de suicide chez les victimes (5 chez les mères et 8 chez les filles victimes, des adolescentes âgées de 14 à 16 ans), et aucune tentative de suicide chez les pères criminels[99]. D'après l'auteur de cette étude, toutes les filles qui ont tenté de se suicider ont été au préalable accusées par leur mère d'avoir provoqué l'inceste[99].
Plus de la moitié des victimes d'inceste auraient commis au moins une tentative de suicide durant leur vie, selon une enquête de l'association internationale des victimes d'inceste menée en 2009 par l'institut de sondage Ipsos[72].
Il existe aussi un risque de suicide chez les coupables d'inceste après que leur crime a été découvert, vraisemblablement en raison de l'effet de la révélation sur leur vie : deux cas de suicides de criminels ont été étudiés au Minnesota en 1986[100].
D'après le psychiatre et psychanalyste Claude Balier, subir l'inceste détruit le sentiment d'identité des victimes ; il qualifie à ce titre l'inceste de « meurtre d'identité »[101]. Le magistrat Denis Salas le qualifie de « crime généalogique », dans le sens où « la tragédie de l'inceste met en jeu tout le système d'appartenance généalogique à laquelle la victime est indissolublement liée » ; il le compare au génocide qui « vise à détruire l'individu en détruisant son lien de parenté »[102]. Cette idée est également défendue par Hélène Romano, qui ajoute que, pour l'individu victime, « sa croyance en un entourage familial protecteur est anéantie, en même temps que son sentiment de sécurité personnel. Très souvent, il porte le même nom que son agresseur, ce qui constitue une violence supplémentaire »[83]. Le juge des enfants Édouard Durand insiste aussi sur la « perversion du besoin de sécurité des enfants » qu'induit le passage à l'acte sexuel[48].
El Baz décrit les survivants d'inceste par comparaison avec des migrants coupés de leur famille : « l'individu se retrouve un peu comme un exilé qui parviendrait dans un pays sans rien en connaître et qui serait obligé de s'adapter »[81].
D'après Aubry et Lopez (2017)[103], ainsi que selon le psychothérapeute Bernard Lempert (2001)[104], l'inceste tend à favoriser la prostitution des victimes. Lempert y voit « un des principaux fournisseurs de la prostitution », et « un des symptômes de l'inceste, et/ou des agressions sexuelles extrafamiliales mais avec un système d'exposition à l'intérieur de la famille »[104]. Selon la féministe Andrea Dworkin, l’inceste est la « filière de recrutement » de la prostitution[105],[106]. 42 % des femmes en prostitution sont des victimes de pédocriminels[105].
En 1891, dans son livre The History of Human Marriage (L'Histoire du mariage humain), Edvard Westermarck défend que jusqu'à l’âge de 30 mois, l’enfant développe un système instinctif de rejet des sentiments amoureux et des pulsions sexuelles vis-à-vis des personnes vivant avec lui.
Ce principe, qui sera appelé l'effet Westermarck, défend qu'une origine naturelle au tabou de l’inceste, physiologique, est préexistante à son élaboration sociale.
En 1949, dans les Structures élémentaires de la parenté, Claude Lévi-Strauss pose les bases d'une nouvelle théorie, dite théorie de l'alliance, qui, en ce qui concerne l'inceste, se trouvera plus tard résumée ainsi : la prohibition de l'inceste « constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s’accomplit le passage de la Nature à la Culture […] avant elle, la Culture n’est pas encore donnée ; avec elle, la Nature cesse d’exister, chez l’homme, comme un règne souverain […] Elle opère, et par elle-même constitue, l’avènement d’un ordre nouveau »[107],[108]. L'interdit de l'inceste fonde dès lors la société humaine car il oblige les hommes à nouer des relations avec des étrangers. Du fait de cet interdit, les hommes ne peuvent en effet fonder de famille avec leurs sœurs et doivent donc trouver des femmes hors de leur communauté. L'anthropologue voit dans l'inceste et son interdiction, l’articulation entre nature et culture, le fondement social. Le message n’est pas selon lui « N’épouse pas ta sœur », mais bien plutôt : « Donne ta sœur en mariage à ton voisin ». Ainsi, l’exogamie serait à la base des échanges et des alliances entre groupes sociaux, leur permettant de s’affirmer en tant que tels. La prohibition de l’inceste serait alors le fondement de l’exogamie en interdisant l’endogamie (dont les limites varient fortement d’une société à l’autre) et le tabou de l’inceste serait alors une construction sociale destinée à défendre l’exogamie en tant que fondement de la société.
Les théories de Lévi-Strauss sont fondées sur les cultures patrilinéaires, mais l’organisation familiale matrilinéaire des îles Trobriand modifie la façon dont est signifié l'inceste : découverts par Bronisław Malinowski[109], ces peuples interdisent les relations sexuelles aussi bien entre un homme et sa mère qu'entre une femme et son père, mais ils décrivent ces interdits de manière très différente. Les relations entre un homme et sa mère font partie des relations interdites entre membres d'un même clan ; les relations entre une femme et son père n'en font pas partie.[Passage contradictoire]
La prohibition de l'inceste n'est cependant pas inhérente à toutes les sociétés, comme le montrent des études historiques ou ethnologiques : dans l'Égypte antique on put compter jusqu'à 20 % de mariages adelphiques et pas seulement dans la caste royale, des unions parent/enfant aussi[110],[111],[108] ; également dans des royaumes incas[108] ; des royaumes africains des grands lacs[108] ; en Polynésie[108] ; en Perse antique (avec des unions parent/enfant également)[112],[108] ; dans les sociétés hawaïennes[108].
Dans l’ouvrage Berceau de la domination. Anthropologie de l’inceste, publié pour la première fois en 2013 puis en poche en 2021, Dorothée Dussy entend remettre en question la théorie de la parenté, héritée de l’anthropologie classique, selon laquelle l’interdit de l’inceste marquerait le passage de la nature à la culture[113]. En effet, selon elle, « si cette théorie [de la parenté] a eu un tel succès, planétaire on va dire, […] c’est qu’elle a, sans être fonctionnaliste, une utilité pour le fonctionnement de notre monde social en ce qu’elle fabrique, elle jette un angle mort sur les pratiques réelles d’inceste »[114]. Elle défend la thèse selon laquelle l’inceste est un apprentissage érotisé de la violence, et qu’il constitue par-là même une situation paroxystique sur le spectre des violences engendrées par l’ordre social patriarcal[115].
Face au constat, d’ordre méthodologique, que « l’anthropologie de la parenté, classique, ne fait pas beaucoup preuve de réflexivité et ne situe pas tellement le chercheur dans son enquête »[114], Dorothée Dussy réalise une série d’entretiens auprès d’adultes victimes d’inceste dans l'enfance, auprès d’incesteurs condamnés et donc en prison, et auprès de leur entourage[116]. En étudiant ainsi ce qu’elle nomme « incestes réels »[115] ou encore « pratiques réelles d’inceste »[114], l’anthropologue conclut qu’il y a moins un interdit de pratiquer l’inceste qu’un interdit d’en parler[117]. Elle va même jusqu’à considérer, contre l’anthropologie classique, que l’interdit de l’inceste n’est pas le propre de l’humain, mais qu’au contraire la pratique de l’inceste serait une spécificité humaine : « En l’état des connaissances, aucun individu, dans la grande variété des autres espèces animales, ne prend pour partenaire sexuel un être sexuellement immature »[118].
Toujours d'après Dorothée Dussy, le fait que l'inceste soit une pratique répandue entraîne des répercussions sur l'ensemble de la société, du fait du traumatisme subi par la victime et ses proches[119]. Ses enquêtes réalisées auprès d'hommes condamnés pour inceste montrent qu'il s'agit majoritairement de personnes insérées dans la société et d'apparence banale[120]. Autrement dit, l'inceste fait partie du fonctionnement social patriarcal, il n'est pas le fait d'individus extraordinairement monstrueux[121].
L'anthropologue et psychologue Illel Kieser 'l Baz estime que « le crime d’inceste pose, d’une manière générale dans nos cultures, le vaste problème de l’excès, de la démesure et finalement, de l’abolition de la conscience morale »[122]. Selon lui, de fausses croyances et préjugés persistent autour de l'inceste, « largement diffusés et faussement étayés par la théorie psychanalytique »[123] : le risque pour les victimes de reproduire ce crime sur leurs propres enfants[124], le fait qu'une cure psychanalytique serait un traitement approprié pour les victimes devenues adultes[124], ou encore le fait que les victimes tireraient « un certain plaisir » de la relation incestueuse, idée qui selon lui provient des prédateurs sexuels[125]. Kieser 'l Baz réfute également que l'inceste soit un fantasme ou un désir inconscient universel chez l'enfant de moins de 7 ans[125]. Il estime que ce n'est pas à l'enfant de poser et de respecter l'interdit de l'inceste, mais bien à l'adulte, et que les adultes pervers posent « leurs propres mots sur une expression tout à fait innocente et f[ont] dévier une parole liée à l’imaginaire de l’enfant vers des attitudes purement inscrites dans le registre de l’adulte »[126]. Il compare la situation des victimes d'inceste durant les années 2000 à celle des femmes victimes de viol durant les années 1970, notamment à travers l'évocation du prétendu « désir inconscient » qui aurait provoqué leur agression[127].
Selon Nathalie Zaltzman, « l'inceste n’est pas une notion spécifiquement psychanalytique. Dans ce que Freud a nommé le complexe d’Œdipe on n’entre pas du tout par la notion de l’inceste, mais par celle du tabou, puis de l’interdit »[129]. Autrement dit, dans la perspective freudienne, l'inceste (au niveau de la réalité consciente) n’est pas l'Œdipe (qui se situe au niveau symbolique)[130]. Hélène Parat précise qu'au contraire l'inceste constitue une attaque contre la structure œdipienne, il abolit la dimension fantasmatique de la vie psychique[131].
Tandis que le terme « inceste » désigne « une relation sexuelle interdite entre proches parents, l'interdit étant posé au plan moral et éventuellement formulé juridiquement », il s'agit en psychanalyse « non seulement de comportements de ce type réellement observables, mais aussi et surtout des fantasmes incestueux et de la conflictualité qui en découle »[132].
Sigmund Freud mentionne pour la première fois le thème de l'inceste dans la lettre à Wilhelm Fliess du (Manuscrit N), en faisant l'hypothèse que le renoncement est associé à la nécessité pour le groupe familial de ne pas se replier sur lui-même et d'assurer les échanges avec l'extérieur et en posant que « la “sainteté” procède de l' “horreur de l'inceste” »[132]. Selon Roger Perron, le thème de l'inceste deviendra central par la suite au moment des Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), dans la formulation du complexe d'Œdipe défini comme un conflit entre le désir sexuel adressé au parent de l'autre sexe et sa répression[132]. Dans Totem et Tabou (1912-13a), Freud évoque la peur de l'inceste, et tente d'établir que le tabou de l'inceste est universel, ce qui pour lui, fonde l'universalité du complexe d'Œdipe[132]. Il propose l'hypothèse que la répression des satisfactions sexuelles ainsi frappées d'interdit a fourni un moteur essentiel au développement de la civilisation, et plus particulièrement des œuvres de l'esprit (théorie de la sublimation)[132].
Roger Perron estime que le thème de l'inceste a été « assez peu étudié en lui-même dans la littérature psychanalytique »[132]. Il souligne cependant qu'« il ne faut évidemment pas confondre les fantasmes incestueux, présents en tout être humain, et les comportements réels de type incestueux, infiniment plus rares », même si « leur abord psychanalytique a permis d'en comprendre beaucoup mieux la genèse et la signification »[132]. En clair, il ne faut pas confondre les fantasmes incestueux et le « crime sexuel » même si, sur le plan métapsychologique, dans le crime sexuel fondamental qu'est l'abus sexuel — dont « le modèle [...] est la relation abusive adulte/ enfant, mais aussi bien le viol et d'autres variantes » —, il importe de ne « pas négliger que l'aspect infantile est essentiel du côté de l'abuseur. Ainsi que l'analyse Jean Laplanche, c'est la sexualité infantile sadique notamment, qui est en cause chez l'abuseur »[133].
Nathalie Zaltzman observe qu'à travers ce qui nous revient aujourd'hui de la culture américaine par les médias et les rumeurs, « nous assistons à un phénomène de dissolution des frontières entre des agirs psychopathiques et des fantasmes inconscients » à propos du « classique fantasme de séduction parentale »[129]. Le psychanalyste s'en retrouverait caricaturé comme poussant son patient à intenter un procès à ses géniteurs[129]. Cependant, « c’est par l’abandon de la séduction réelle que S. Freud est entré dans le monde du fantasme inconscient et dans celui de la psychosexualité infantile »[129].
D'après Bennett Simon, « la psychanalyse a à la fois connu et ignoré, avoué et désavoué, l'impact traumatique de l'inceste réel », en particulier à cause d'une focalisation sur le complexe d'Œdipe plutôt que d'examiner les implications pour les victimes ; il estime qu'« il n'est que trop probable que de nouvelles erreurs puissent être générées et qu'il faille des décennies pour les reconnaître et les réparer »[134].
En 1995, Paul-Claude Racamier étend le principe d’inceste à l'incestuel[7],[8]. Il définit ainsi un climat au sein des familles qui floute la distinction des individus, des générations et des places de chacun, ou expliqué autrement, le fait de « ne laisser à l’autre aucune place pour être, la finalité étant pour reprendre l’expression d’André Green de « désobjectaliser, de retirer à cet autre sa propriété de semblable humain »[135]. » Ce climat familial incestuel - il est aussi question d'« inceste moral » - lève les obstacles culturels tout en installant un tabou sur la vérité,[pas clair] ce qui, bien qu'étant parfaitement distinct du passage à l'acte sexuel, peut s'y substituer aussi bien que le favoriser. [réf. nécessaire]
Selon Élisabeth Roudinesco et Michel Plon, étant donné l'importance de l'abandon par Freud de ses neurotica, qui signe la naissance de la psychanalyse, la question de la théorie de la séduction a fait l'objet de très vifs débats et commentaires[136].
Dans les années 1980, « l'affaire de la théorie de la séduction devint un véritable scandale », lorsque Kurt Eissler et Anna Freud confièrent à Jeffrey Moussaieff Masson la publication intégrale des lettres de Freud à Fliess. Cet universitaire américain né à Chicago en 1941 et « dûment formé dans le sérail de l'orthodoxie » freudienne, entreprit de lire les archives « en les interprétant de façon sauvage avec l'idée qu'elles recelaient une vérité cachée, et il affirma que Freud avait renoncé par lâcheté à la théorie de la séduction », parce qu'il n'osait pas révéler certaines atrocités commises par des adultes sur des enfants. C'est alors que Sigmund Freud aurait inventé le fantasme, à la manière d'un faussaire pour « masquer une réalité » [137]. Le livre publié en 1984 et intitulé Le Réel escamoté fut un best-seller[137]. Réédité sous le titre Enquête aux archives Freud, des abus réels aux pseudo-fantasmes[138], l'enquête était sur les cas traités par Freud, tandis que Masson insistait pour le rétablissement de la théorie de la séduction : neuf ans après l'abandon de sa théorie initiale, selon laquelle l'hystérie était causée par des abus sexuels pendant la petite enfance, Freud soutenait en effet, était-il dit, que ces souvenirs sexuels étaient des fantasmes d'actes n'ayant jamais eu lieu[139].
D'après Roudinesco et Plon, en s'appuyant sur la tradition du puritanisme, le livre de Jeffrey Masson confortait en 1984 les thèses révisionnistes de l'historiographie psychanalytique américaine : il dévoilait « le mensonge freudien » qui « avait perverti l'Amérique » en contribuant à l'oppression : « colonisation des enfants par les adultes, domination des femmes par les hommes, tyrannie du concept sur l'élan vital, etc. » ; Freud était devenu lui-même « un démon sexuel, coupable de relations abusives dans sa propre famille et sur son divan »[140].
Dans les années 1990, le retour à la théorie de la séduction représenta une réaction contre l'orthodoxie psychanalytique, puis devint « le symptôme majeur d'une forme américaine d'antifreudisme. S'y retrouvaient mêlés : la victimologie, le culte fanatique des minorités opprimées et l'apologie d'une technologie de l'aveu, largement appuyée sur la pharmacologie »[141].
Selon l'anthropologue de la psychiatrie, Richard Rechtman, la « vérité du traumatisme » s'est imposée après la Seconde Guerre mondiale par les récits de la Shoah et de l'expérience concentrationnaire, la psychanalyse ayant contribué à diffuser cette vérité et à lui donner une assise théorique, donnant corps à la figure du « traumatisé psychique » et au concept de « mémoire traumatique » qui se sont imposés, aux États-Unis dans les années 1960 et un peu plus tard en France, « pour témoigner de toutes les formes d’oppression subies par les groupes minoritaires » : vétérans du Viet Nam, association de protection de l'enfance maltraitée et féministes ; ces dernières bien que s'appuyant sur les conceptions psychanalytiques se retournèrent contre la psychanalyse, l'enjeu n'étant pas théorique ou clinique, mais politique[142]. Telle Florence Rush dont l'argument est simple : Freud a été le premier à découvrir « l’ampleur des sévices sexuels subis par ses patientes » mais il aurait renoncé à les divulguer pour ne pas heurter la bonne société viennoise, « sans pour autant jamais nier l’existence de l’inceste » [142]. C'est avec le « livre à scandale » de Jeffrey Masson que cette critique trouvera un véritable écho outre-Atlantique mais « sans apporter les preuves décisives qu’il invoque ». Malgré la faiblesse des arguments avancés, la psychanalyse en sortira discréditée aux États-Unis dans le cadre du DSM-III, bien que les psychanalystes « démontèrent un à un les arguments de Masson » et que la presse généraliste contesta de même les hypothèses de Masson en soulignant ses incohérences[142]. « La dénonciation de la conspiration du silence prétendument entretenue par la théorie freudienne du fantasme apportera un redoutable argument moral pour accuser la psychanalyse de tous les maux, pour lui contester son caractère progressiste et pour enfin espérer la ranger aux oubliettes de l’histoire »[142].
Dans L’Homme aux statues. Freud et la faute cachée du père (1979, réédition 2014), ouvrage issu de son projet de thèse, l'autrice et psychanalyste Marie Balmary estime que Freud a construit sa théorie du complexe d’Œdipe sur l’abandon d'une théorie qui aurait présenté les pères comme incestueux et indignes, et que cet abandon s'est traduit par l'oubli, de la part de Freud, de la partie du mythe d'Œdipe présentant la faute originelle de Laïos[143],[144]. Commentant cet ouvrage, Josué V. Harari estime qu'il remet en cause la notion de complexe d’Œdipe[145].
Dans la Torah, le tabou de l'inceste est longuement détaillé au chapitre 18 du Lévitique (parasha A'harei) :
Mais dans la Genèse, avant la promulgation de la Loi, plusieurs épisodes traitent de cas d'inceste (voir la section Dans la Bible).
L’inceste est traité dans le Talmud avec les deux autres interdits : l’idolâtrie et le meurtre.
Dans le droit canon catholique, la prohibition de l’inceste s’étend à des degrés qu’il faut respecter : troisième degré inclus en ligne directe, jusqu’au quatrième en ligne collatérale. Le code de droit canonique de 1983 écrit :
« Can. 1091
§ 1. En ligne directe de consanguinité, est invalide le mariage entre tous les ascendants et descendants tant légitimes que naturels.
§ 2. En ligne collatérale, il est invalide jusqu'au quatrième degré inclusivement.
§ 3. L'empêchement de consanguinité ne se multiplie pas.
§ 4. Le mariage ne sera jamais permis s'il subsiste quelque doute que les parties sont consanguines à n'importe quel degré en ligne directe ou au second degré en ligne collatérale[146]. »
Le code ne prévoit donc pas d'autre peine que celle de l'invalidité du mariage.
L'islam interdit en ligne directe le mariage entre ascendants et descendants indéfiniment. En ligne collatérale, l'interdiction touche les frères et sœurs, nièces et oncles, neveux et tantes. Néanmoins, le mariage est permis entre cousins. Les prohibitions résultant de la parenté du lait sont les mêmes que celles de la parenté ou de l'alliance, mais seul l'enfant allaité[147] est considéré comme enfant de la nourrice et de son époux, à l'exclusion de ses frères et sœurs.
Le Coran décrit les femmes avec lesquelles le mariage est prohibé pour les musulmans, à la sourate Annissaa (IV) verset 22-23 :
« Vous sont interdites vos mères, filles, sœurs, tantes paternelles et tantes maternelles filles d'un frère et filles d'une sœur, mères qui vous ont allaités, sœurs de lait, mères de vos femmes, belles-filles sous votre tutelle et issues des femmes avec qui vous avez consommé le mariage ; si le mariage n'a pas été consommé, ceci n'est pas un péché de votre part ; les femmes de vos fils nés de vos utérus ; de même que deux sœurs réunies — exception faite pour le passé[148]. Car vraiment Dieu est pardonneur et Miséricordieux. »
Cependant, un père peut épouser la femme divorcée de son fils adoptif, à la différence de celle de son fils biologique. Mahomet a épousé Zyneb :
« Quand tu disais à celui qu'Allah avait comblé de bienfaits, tout comme toi-même l'avais comblé : "Garde pour toi ton épouse et crains Allah", et tu cachais en ton âme ce qu'Allah allait rendre public. Tu craignais les gens, et c'est Allah qui est plus digne de ta crainte. Puis quand Zayd eut cessé toute relation avec elle, nous te la fîmes épouser, afin qu'il n'y ait aucun empêchement pour les croyants d'épouser les femmes de leurs fils adoptifs, quand ceux-ci cessent toute relation avec elles. Le commandement d'Allah doit être exécuté. »
— Sourate 33 Al-Ahzab (« Les coalisés »), 37
Il existe un basculement, dans la plupart des pays d'Europe, entre la conception de l'inceste comme un crime de mœurs sans véritable coupable, et sa conception en tant que crime sexuel commis par un adulte sur une personne plus jeune : l'historienne Julie Doyon le situe aux XVIIIe et XIXe siècles[48]
La notion légale d’inceste est variable en fonction des législations et du droit que l'on considère :
Nombre de pays s'abstiennent de criminaliser l'inceste entre personnes majeures et consentantes tout en interdisant le mariage entre proches, par parenté ou filiation. En revanche, l'inceste sur mineur (en fonction de la majorité civile et de la majorité sexuelle) est le plus souvent considéré comme une forme d'agression sexuelle ou, plus généralement, d'abus sexuel sur mineur.
L'article 155 du code criminel canadien définit l’inceste comme suit : « Commet un inceste quiconque, sachant qu’une autre personne est, par les liens du sang, son père ou sa mère, son enfant, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils, sa petite-fille, selon le cas, a des rapports sexuels avec cette personne »[149].
Le Code civil interdit, depuis 1804, le mariage entre personnes dont les liens de parenté vont jusqu'au troisième degré. Ceci inclut plusieurs cas de figure[150] :
En revanche, il n'interdit pas le mariage entre cousins germains.
Concernant le pacte civil de solidarité, l'article 515-2, 1° du Code civil interdit l'inceste entre « ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré inclus »[152].
Par ailleurs, le Code civil interdit l’adoption d’un enfant né d’un inceste par son père biologique, si ce père est le frère ou le parent en ligne directe de la mère. Cette disposition permet de ne pas reconnaître la parenté conjointe des incestueux :
« S'il existe entre les père et mère de l'enfant un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit. »
— Article 310-2 du Code civil[153]
La Cour de cassation l'a confirmé dans sa jurisprudence (arrêt du [154]).
Selon le Code pénal, le rapport sexuel librement consenti entre deux personnes sexuellement majeures qui sont parentes à un degré où le mariage est interdit ne constitue pas une infraction spécifique[155]. En revanche, le Code reconnaît, depuis la loi du 3 août 2018, l'inceste en tant que qualification pour les viols et agressions sexuelles : d'après l'article 222-31-1[156], un viol ou une agression sexuelle est qualifié d'incestueux si l'agresseur est un ascendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce. De même pour le conjoint, concubin ou partenaire de PACS de l'un de ceux-ci, s'il a une autorité de droit ou de fait sur la victime. De plus, le fait qu'un viol, une agression sexuelle ou une atteinte sexuelle soit commis par un « ascendant légitime naturel ou adoptif ou toute personne ayant autorité sur la victime » est considéré comme circonstance aggravante.
La loi du 21 avril 2021 renforce la protection des victimes. En effet, l'article 222-23-2[157] indique qu'un inceste entre un mineur et un majeur est automatiquement qualifié de viol, qu'il y ait eu consentement ou pas. Auparavant, c'était au Ministère public d'apporter la preuve qu'il n'y avait pas eu de consentement.
« Hors le cas prévu à l'article 222-23, constitue un viol incestueux tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d'un mineur ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque le majeur est un ascendant ou toute autre personne mentionnée à l'article 222-22-3 ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait. »
— Article 222-23-2 du code pénal
Le conseil constitutionnel confirme la loi par la décision 2023-1058[158] du 21 juillet 2023.
La loi 18 mars 2024[159] renforce à nouveau la protection des victimes, en effet l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement du parent agresseur, en cas de poursuite ou de mise en examen pour agression sexuelle incestueuse ou d'inceste, sont automatiquement suspendus[160]. De plus, en cas de condamnation, le retrait total de l'autorité parentale est ordonné par la justice[161].
Les effets des maltraitances constituent un enjeu autour du repérage précoce des cas. Les professionnels de santé en tant qu'acteurs de proximité peuvent permettre de reconnaître les signes d’une maltraitance sexuelle ainsi que les situations à risque pour un enfant. À la demande de la Direction générale de la Santé, la Haute Autorité de santé a donc publié en une recommandation de bonne pratique sur le repérage et le signalement de l'inceste par les médecins[162], qui vise notamment à faire mieux connaître la réglementation sur l'inceste par les professionnels de santé et à rendre le signalement plus rapide pour une prise en charge efficace des cas d'inceste.
Depuis la loi du réformant la protection de l’enfance, toute personne craignant pour la sécurité d'un mineur doit déposer une « information préoccupante » auprès de la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation de son département. Cette cellule évalue le risque par de nombreux moyens (médical, enquête, enquête sociale, etc.) et va si nécessaire saisir le procureur de la République[163].
En France, les règles de prescription pénale ont évolué une dizaine de fois depuis 1989 pour l'inceste et les agressions sexuelles sur mineur. La prescription d'un acte étant acquise définitivement, chaque nouvelle loi allant dans l'allongement de la durée de la prescription, n'est applicable que sur des actes non prescrits par les lois antérieures (article 50 de la loi du 10/07/1989). Depuis la loi du 03/08/2018, les règles de prescription sont les suivantes, mais ne s'appliquent que pour des actes plus ou moins récents :
Pour des actes anciens, on se reportera à l'outil[166] du site « Parole en marche » et à son tableau explicatif[167].
Le code pénal italien établit (art. 564) la réclusion de un à cinq ans pour ceux qui commettent l'inceste avec un descendant, un ascendant, ou un parent affilié en ligne directe (i.e. un frère ou une sœur). Si l'inceste est commis par une personne majeure envers un mineur, la peine est augmentée pour la personne majeure. Le parent (père ou mère) condamné pour inceste perd la tutelle légale du mineur et peut subir un divorce non consensuel. La relation incestueuse (rapport continuatif) est une circonstance aggravante. Le code civil italien interdit le mariage entre consanguins.[réf. nécessaire]
Au Royaume-Uni, un acte de dispense du Parlement peut lever cet interdit. La Cour européenne des droits de l'homme a eu à connaître d'une telle affaire en 2005, et a condamné le Royaume-Uni pour violation de l'article 12 de la Convention (droit au mariage) alors même que la procédure de dispense n'avait pas été engagée[168].
L'article 213 du code pénal suisse (livre deuxième, titre sixième) condamne clairement l'inceste en ces termes :
En 2011, le gouvernement suisse souhaite lever l’interdiction de l’inceste dans le cadre de la révision du droit pénal et de la procédure d’harmonisation des peines[169],[170].
Le mariage est lui aussi prohibé entre parents en ligne directe, ainsi qu'entre frères et sœurs germains, consanguins ou utérins, que la parenté repose sur la descendance ou sur l'adoption (article 95 du Code Civil). Il en est de même pour le partenariat enregistré entre personnes du même sexe (article 4 de la Loi sur le partenariat enregistré). Jusqu'en 2000, le mariage était en outre interdit entre une tante et son neveu, un oncle et sa nièce, une belle-mère et son gendre, ou encore un beau-père et sa bru.
L'incrimination diffère en fonction que le crime d'inceste a été commis à l'encontre d'un mineur ou d'un majeur.
"On entend par inceste les actes à caractère sexuel commis au préjudice d'un mineur par un parent ou allié ascendant en ligne directe, par un parent ou allié en ligne collatérale jusqu'au troisième degré, ou toute autre personne occupant une position similaire au sein de la famille des personnes précitées.
L'inceste est puni comme suit :
Par parent, on entend également l'adoptant, l'adopté et les parents de l'adoptant."[171]
"On entend par actes à caractère sexuel intrafamiliaux non consentis les actes à caractère sexuel non consentis commis par un parent ou allié ascendants ou descendants en ligne directe, par un parent ou allié en ligne collatérale jusqu'au troisième degré, par un partenaire ou toute autre personne occupant une position similaire au sein de la famille des personnes précitées.
Les actes à caractère sexuel intrafamiliaux non consentis sont punis comme suit :
On entend par partenaire la personne avec laquelle la victime est mariée ou entretient une relation affective et physique intime durable, ainsi que la personne avec laquelle la victime a été mariée ou a entretenu une relation affective et physique intime durable si les faits incriminés ont un lien avec ce mariage dissous ou cette relation terminée."[172]
Il n'existe aucune sanction pour les actes incestueux consentis librement entre personnes majeures.
Une relation sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de 14 ans est toujours considérée comme un viol, qu’il y ait ou non consentement[173].
La loi du 14 novembre 2019, ajoute l’imprescriptibilité des violences (dont le viol) faites sur mineurs (Code pénal, art. 21bis)[174].
Le mariage est prohibé entre parents en ligne directe, ainsi qu'avec les alliés de ceux-ci. Il est également prohibé entre parents en ligne collatérale jusqu'au troisième degré. La prohibition du mariage avec les alliés des descendants et ascendants, ainsi que la prohibition du mariage entre parents au troisième degré en ligne collatérale, peuvent être levées par un tribunal pour des motifs graves[175].
Depuis l’Égypte pharaonique et encore récemment dans certains pays comme le Pérou pour la famille des Incas, il était fréquent, dans la noblesse, de se marier et d’avoir des enfants avec un membre plus ou moins éloigné de sa famille. Ces mariages consanguins avaient, au moins, différents sens plus ou moins liés :
Cette tradition disparaît peu à peu : au Japon, l’empereur Akihito, monté sur le trône en , est le premier de sa dynastie à être marié à une femme ne faisant pas partie de sa famille.
Dans la Rome antique, la violation du serment de chasteté par les vestales était taxée d' incestus et, considérée comme un crime inexpiable, généralement puni par la mort de la coupable, condamnée à être enterrée vivante. Quant à son séducteur, il était fouetté jusqu'à ce que mort s'ensuive… Mais tous les incestes ne méritaient pas le même sort. Ainsi, l'empereur Caligula avait une probable relation incestueuse avec sa sœur Julia Drusilla. Même si les contemporains pensaient que le frère et la sœur étaient des amants, rien ne confirme qu’ils aient eu vraiment des relations sexuelles. Drusilla n’avait pas une très bonne réputation compte tenu des liens étroits qui l’unissaient à Caligula. Certains érudits, dans leur tentative pour jeter le discrédit sur la vie privée de Caligula, ont utilisé le terme de prostituée à son égard[176]. Bien que présenté comme une exigence du peuple de Rome, le remariage de son oncle, l'empereur romain Claude avec sa nièce Agrippine la Jeune était clairement considéré comme incestueux. Pour apaiser les dieux, on s'adonna à quelques rites purificatoires, et le mariage finit par être accepté.
Au Moyen Âge, la parenté spirituelle comptait aussi pour définir l’inceste : toute union parrain-filleule ou marraine-filleul était ainsi prohibée, mais aussi toute union entre un parent (père ou mère) et le parrain ou la marraine de l’un de ses enfants. Dans l'église de Byzance, les prêtres pouvaient se marier, mais ne pouvaient pas épouser quelqu'un qu'ils avaient baptisé. Pour la même raison, l'habitude pour les parents de parrainer leur enfant au baptême fut abandonné et commença alors la recherche d'une personne extérieure à la famille en vue du parrainage de l'enfant. L'empereur Justinien fut le premier à donner une vision chrétienne dans la législation sur l'inceste dans son Code (529 apr. J.-C.). À partir de Byzance, cette vision chrétienne, dans la législation sur l'inceste, arrive dans l'Europe occidentale. La législation la plus sévère fut probablement celle des rois Wisigoths, qui prévoyait la séparation immédiate du couple et l'entrée dans une congrégation religieuse. Le Pénitentiel de Cummean (en), document ecclésiastique irlandais du VIIe s., ordonne trois ans de pénitence pour ceux qui commettent inceste avec leur mère, tandis que le Paenitentiale Theodori (en), document anglo-saxon de la même époque, ordonne quinze ans[177]. Chez les Francs, les Capitulaires de Charlemagne prévoient la peine capitale pour ceux qui commettent le péché de « bestialité, d'inceste ou de sodomie »[178].
L'interdit fut enlevé par les révolutionnaires de 1789, qui considéraient que la sexualité est une affaire intime et que l’État n’a rien à faire dans les orientations sexuelles.
Des cas d'incestes historiques existent :
Les membres de la famille Borgia sont réputés pour leurs relations incestueuses, qui ont concerné jusqu'au pape Alexandre VI, sans être criminalisées[60].
La Bible compte plusieurs faits d'inceste ; en voici quelques-uns :
Par ailleurs, l'épisode des mandragores (Genèse 30, 14-18) peut être interprété comme empêchant l'inceste de Ruben avec sa mère Léa.
Une première vague de libération de la parole des victimes d'inceste démarre à la fin du XXe siècle[180]. Le livre de Christiane Rochefort La Porte du fond (prix Médicis 1988), puis celui de Christine Angot Le Voyage dans l'Est (2021), décrivent pour la première fois vers un large public les stratégies des pères incesteurs[181].
Elle s'amplifie avec le mouvement MeToo et l'utilisation des hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc à partir de 2017, qui permet de briser l'omerta autour de l'inceste[182]. Cette époque coïncide avec la publication d'autofictions et de témoignages qui décrivent l'inceste du point de vue des victimes, et notamment ceux de Christine Angot, de Vanessa Springora et de Camille Kouchner, permettant d'amorcer une prise de conscience des effets de l'inceste sur les enfants[183]. Le livre de Camille Kouchner, La Familia Grande, décrit l'inceste commis par un beau-père sur un jeune garçon culpabilisé et sous emprise, au prétexte de « liberté » et d’initiation sexuelle, la mère refusant d'entendre qu'il s'agit d'un inceste[184]. Le livre de Neige Sinno Triste Tigre (prix Femina 2023) revèle son viol entre l’âge de 7 ans et ses 14 ans par son beau-père[185].
Iris Brey, Juliet Drouar et d'autres auteurs décrivent une culture de l'inceste, comparable à la culture du viol ; la réalité des pratiques d'inceste ne constitue pas selon eux un « tabou », ces pratiques étant au contraire structurantes dans la société, en favorisant des rapports de domination entre individus, basés sur le sexe et l'âge[186].
Le conte populaire européen Peau d'Âne met en garde contre un père incestueux, et constitue le seul conte de son époque à aborder frontalement la question de l'inceste, tout en mettant en scène une solidarité féminine à travers l'aide que la fée marraine apporte à la princesse[187].
Brey et Drouar citent les séries Game of Thrones et Borgia parmi les productions culturelles qui « valorisent » les pratiques d'inceste, en les présentant autrement que comme des violences sexuelles, et en soutenant leur aspect « systématique »[48]. Dans ces productions culturelles, l'inceste est romantisé, présenté d'un autre point de vue que de celui des victimes. Ces productions valorisent aussi le mythe qui fait de l'enfant le séducteur, comme l'illustre le film Lolita[48]. Il existe une surreprésentation des incestes de fratrie romantisés dans la fiction, alors que la forme d'inceste la plus présente en réel, l'inceste père-fille, est quasiment absente des représentations culturelles[188],[189].
(Dans l'ordre alphabétique des noms d'auteurs)