Journée des Tuiles à Grenoble | |
La journée des Tuiles par Alexandre Debelle (musée de la Révolution française). | |
Type | Émeute |
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Pays | France |
Localisation | Grenoble |
Coordonnées | 45° 11′ 22″ nord, 5° 43′ 48″ est |
Date | |
Bilan | |
Blessés | 20 civils |
Morts | 3 civils |
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La journée des Tuiles est le nom donné à une émeute, survenue le à Grenoble, au cours de laquelle les insurgés affrontent la troupe à coups de tuiles. Ceci dans le contexte de la fronde parlementaire consécutive à la tentative de réforme du garde des Sceaux Lamoignon et du contrôleur général des finances Loménie de Brienne, visant à annuler les pouvoirs rendus aux parlements au début du règne de Louis XVI.
Cette émeute, prélude de la Révolution française, est caractérisée par le rôle central qu'y jouent les femmes. Elle fait trois morts et vingt blessés dans la population et un assez grand nombre de blessés parmi les membres du régiment de Royal-Marine[1].
Cette première grave émeute contre l'autorité royale provoquera la réunion des états généraux du Dauphiné et conduira Louis XVI à promettre la tenue d'états généraux à Versailles, qui auront lieu moins d'onze mois après.
Le jeudi , un lit de justice enregistre les édits sur la réforme judiciaire du garde des Sceaux Lamoignon, réforme qui, notamment, supprime leur droit de remontrance aux cours souveraines (Parlement de Paris et parlements de province, Cour des aides, Cour des comptes…) et crée une cour plénière chargée de l'enregistrement et de la conservation des actes royaux, édits et ordonnances, dont les membres seront nommés par le roi. De leur côté, les conseillers parlementaires se verront désormais confinés à de simples fonctions de juges judiciaires n'ayant plus à connaitre que des affaires criminelles contre les nobles et des affaires civiles impliquant des litiges inférieurs à 20 000 livres dans de nouveaux tribunaux appelés grands bailliages.
Les parlements — bastions avancés de la société d'ordres, des privilèges et des exemptions fiscales — perdraient ainsi le contrôle sur les lois du royaume. Alors que cette procédure leur permettait de refuser d'adopter un texte en fonction des particularités provinciales. Mais pour que ces édits de mai puissent être applicables, il fallait qu'une dernière fois chaque parlement les enregistre. Le Parlement de Paris, entraîné par les conseillers Duval d'Eprémesnil et Goislard de Montsabert, entre aussitôt en rébellion. Il proclame ne tolérer aucune innovation à la constitution et inscrire dans le marbre les lois fondamentales du royaume, en y incluant entre autres l'inamovibilité de la magistrature.
L'opposition gagne de même tout le pays. Chaque parlement s'accrochant à ses immunités régionales et défendant la légitimité des justices féodales et seigneuriales. C'est le cas à Rennes où l'on séquestre l'intendant de Bretagne mais surtout à Grenoble dans le Dauphiné, ville fortifiée d'une cinquantaine d'hectares pour sa rive gauche et de 20 000 habitants où une bonne partie de la ville (avocats, procureurs, huissiers, clercs et commis de la basoche, procéduriers, écrivains publics, portes-chaises…) vit de la présence de son parlement[N 1].
Le gouverneur général du Dauphiné Louis-Philippe d'Orléans séjournant alors à la cour royale à Paris, c'est le duc de Clermont-Tonnerre, lieutenant général et commandant en chef du Dauphiné, qui présente le 9 mai les édits au Parlement du Dauphiné, lequel refuse de les enregistrer. Le lendemain 10 mai, le duc de Clermont-Tonnerre revient à la charge accompagné de l'intendant du Dauphiné Gaspard Caze de la Bove et de son escorte armée. Après une entrevue houleuse durant près de 21 heures, les membres du Parlement sont contraints de signer l'enregistrement des édits. Le palais du parlement du Dauphiné est immédiatement évacué de force par les soldats, les portes verrouillées et ses membres mis d'office en vacance avec interdiction de siéger.
Le 12 mai, le corps consulaire de la ville se réunit en séance exceptionnelle afin de condamner sans réserve ce coup de force. Le 20 mai, le premier président Albert de Bérulle réunit dans son hôtel de la première présidence les membres du Parlement et les consuls afin de rédiger un arrêt déclarant illégales les mesures prises contre le Parlement[2]. L'arrêt est aussitôt envoyé à Loménie de Brienne qui rétorque dès le 30 mai en ordonnant au lieutenant général de faire « exiler sur leurs terres les rebelles du parlement. » Le vendredi 6 juin, des inconnus répandent dans la ville une brochure titrée L'Esprit des édits enregistrés militairement le . Elle est anonyme, mais chacun pense à un jeune avocat au nom d'Antoine Barnave. À 9 heures du soir, le lieutenant général et l'intendant du Dauphiné viennent faire part au premier président du parlement du Dauphiné qu'ils détiennent le courrier mettant à exécution l'envoi des lettres d'exil des parlementaires dauphinois[3].
Samedi , jour de marché sur la place Grenette, il est 7 h 30 lorsque les premiers parlementaires reçoivent par lettre de cachet l'injonction du duc de Clermont-Tonnerre, de s'exiler hors de la ville le jour même[4]. Tandis que chacun fait ses malles et arrange son départ, l'émoi et la consternation s'emparent peu à peu des habitants informés par les auxiliaires de justice. À dix heures, marchands et boutiques ferment leurs portes, des groupes de 300 à 400 personnes, hommes et femmes, se forment, armés de pierres, bâtons, haches, barres et se précipitent aux portes de la ville[N 2] afin de les fermer pour empêcher le départ des magistrats. Certains émeutiers, en allant de la porte Saint-Laurent à la porte de France, se heurtent à un piquet de 50 soldats au niveau du pont de bois, d'autres se dirigent vers la rue Neuve à l'hôtel du premier président, Albert de Bérulle. Sur place, la foule s'écarte respectueusement de l'entrée pour laisser passer le corps des avocats dirigé par le bâtonnier Pierre Duchesne[5],[N 3], ainsi que les magistrats dont Joseph Marie de Barral, président à mortier, venant tous témoigner de leur sympathie pour cette grande institution qui disparaît.
Vers midi, alors que des femmes s'emparent des cloches de la ville[N 4] en commençant à sonner le tocsin à la cathédrale, à la collégiale, à Saint-Louis et à Saint-Laurent, la foule grossit considérablement s'associant aux magistrats. Important signal d'alerte à l'époque, les cloches activées jusqu'à 16 h 30 provoquent l'arrivée massive de paysans des environs qui s'introduisent par tous les moyens dans la ville, escaladant les remparts, utilisant des barques sur l'Isère et pour certains, enfonçant la poterne d'une porte de la ville. Cet afflux massif de population peut par ailleurs s'expliquer par le fait que 7 juin 1788 était un samedi, jour de marché. Une foule nombreuse venue des montagnes environnantes était présente en ville pour manifester son mécontentement face à la négation des usages provinciaux par une monarchie ruinée : remise en cause des privilèges communautaires liés à la gestion de l'eau, mise en adjudication des forêts, transformation de la corvée... Les herbières, ces vendeuses de légumes au statut précaire, étaient particulièrement affectées par ces réformes que le Parlement de Dauphiné avait eu la bonne idée de contester. Elles peuvent pour cette raison être considérées pour Jean Loup Kastler et Clarisse Coulomb comme autant de porte-paroles d'une « écologie morale de la foule » dont la Journée des Tuiles fut l'exutoire politique[6].
En sortant de son hôtel, le premier président du Parlement du Dauphiné tente en vain d'apaiser la foule, mais sans l’écouter, les émeutiers remontent à son domicile malles et bagages déjà installés dans sa voiture et prennent le soin de dételer ses chevaux. Certains partent chez d'autres magistrats et ramènent leur voiture dans la cour de l'hôtel de la première présidence afin de les empêcher de quitter leur domicile.
Pendant ce temps, d’autres révoltés se précipitent vers l'hôtel du gouverneur situé en bordure des remparts. Le duc de Clermont-Tonnerre dispose de deux régiments d'élite à Grenoble[7], le Royal-Marine dont le colonel est le marquis d'Ambert et le régiment d'Austrasie dont le colonel est le comte de Chabord. Régiments mis en service alternativement de semaine en semaine, c'est le Royal-Marine qui est en service cette semaine, et il est mis en alerte dès l'aube du , mais avec l'interdiction de faire usage de ses armes. Pourtant malgré l'ordre, voyant les émeutiers donner l'assaut à l'hôtel, les officiers tentent de s'y opposer en tirant. Au cours d'un assaut, les soldats blessent un vieil homme de 75 ans à la baïonnette. À la vue du sang, le peuple devient furieux et commence à dépaver les rues. La foule montée sur les toits d'immeubles de 4 étages se met à lancer une véritable pluie de tuiles et de pierres. Certains soldats ouvrent le feu sur l'ordre d'un adjudant, d'autres se réfugient dans un immeuble et tirent par les fenêtres, mais la foule s'y précipite aussitôt et ravage tout à l'intérieur.
Sur la place Grenette, un sous-officier du Royal Marine à la tête d'une patrouille de 4 soldats assaillie par la foule, fait ouvrir le feu, tuant un civil et blessant un jeune garçon de 12 ans qui décédera dans la soirée[8]. À l'est de la ville, des soldats du Royal-Marine doivent faire feu pour protéger l'arsenal, craignant que des émeutiers n'en forcent les portes pour s'emparer des armes et munitions qu'il contient. Les groupes de 4 ou 5 soldats du Royal-Marine favorisent les accrochages avec la population, alors que le régiment d'Austrasie qui sort en ordre de bataille de ses quartiers situés près de la porte de Bonne, se montre en détachements plus nombreux et donc plus dissuasifs.
Trois des quatre consuls de la ville[N 5], en robes et en chaperons, réunis depuis le matin à l'hôtel de ville avec à leur tête le premier consul Pierre Dupré de Mayen, se rendent à l'hôtel du gouvernement pour essayer de raisonner la foule par de patriotiques paroles mais leur voix est étouffée par les clameurs. Leur autorité bafouée, ils tentent alors de se frayer un passage à travers la foule jusqu'à la salle où se réfugient Clermont-Tonnerre, l'intendant et des officiers de la garnison. Ils y parviennent à grande peine, les vêtements en lambeaux.
À cinq heures du soir, le duc de Clermont-Tonnerre, sur qui aucune violence n'a été exercée, comprend qu'il expose la ville à un désastre s'il ne retire pas ses troupes. Il ordonne alors au Royal-Marine de regagner ses quartiers et rédige une lettre au Premier président mentionnant qu'il peut suspendre son départ en exil : « Je vous prie de vouloir bien suspendre votre départ et autoriser Messieurs de votre compagnie, qui se trouveraient ici, à en user de même jusqu'à nouvel ordre ; je vais rendre compte à la cour de ce qui se passe. j'ai l'honneur, etc. » Les soldats du roi doivent se replier, l'hôtel du gouverneur est en grande partie pillé, mais le duc de Clermont-Tonnerre échappe de justesse à l'écharpage. Les révoltés exigent aussitôt la remise des clés du palais du parlement, qui leur sont remises.
À six heures, malgré la lecture en public du courrier du duc de Clermont-Tonnerre une foule évaluée à dix mille personnes criant « Vive le Parlement » force les magistrats à regagner le palais du parlement en les inondant de fleurs. Le premier président le comprend fort bien et donne l'ordre à ses conseillers d'ôter leurs habits de voyage pour revêtir la robe rouge écarlate aux ornements d'hermine. Arrivée sur la place Saint-André, la foule veut envahir le greffe pour brûler le registre sur lequel les édits ont été enregistrés de force. Mais Albert de Bérulle s'y oppose et après avoir remercié les Grenoblois de leur sympathie à l'égard du Parlement, les invite à rentrer chez eux[9]. Durant toute la nuit, au son des carillons triomphants, un grand feu de joie crépite sur la place Saint-André entouré d'une foule qui danse et qui chante « Vive, vive à jamais notre parlement ! Que Dieu conserve le roi et que le diable emporte Brienne et Lamoignon. »
Le 10 juin, l'officier responsable de la première fusillade est arrêté afin d'apaiser les esprits[10]. Le même jour, le colonel du Royal-Marine, le marquis d'Ambert, écrit au ministre Loménie de Brienne qu'il déplore 17 hommes à l'hôpital et que M. Boissieu, lieutenant-colonel du régiment d'Austrasie, a reçu un grave coup à la tête[11]. De leur côté, les parlementaires ne souhaitent pas résister aux ordres d'exil prononcés à leur encontre par le roi, et quittent Grenoble le 12 juin dès qu'ils peuvent échapper à la surveillance des habitants.
Parmi les nombreux soldats blessés au cours de cette journée, un jeune sergent du Royal-Marine, Jean-Baptiste Bernadotte, futur roi de Suède, est sauvé de la mort par le botaniste Dominique Villars[12]. Dans la population, un enfant de cinq ans et demi assiste du balcon de l'appartement de son grand-père à l'émeute et racontera plus tard ce souvenir en 1835-1836 dans le roman Vie de Henry Brulard sous la plume de l'écrivain Stendhal[13].
L'ordre n'est rétabli que le 14 juillet suivant par les dragons du maréchal de Vaux qui vient de remplacer le duc de Clermont-Tonnerre[14].
En tout, six foyers d'émeute seront recensés dans la ville lors de cette journée, dont deux dans le nord de la ville au palais du parlement du Dauphiné et sur la place aux Herbes. Quatre autres foyers sont localisés plus au sud, l'un devant le couvent des Jacobins, ancien nom des dominicains (actuel magasin des Galeries Lafayette), un second à l'hôtel de la première présidence (actuelle rue Voltaire), un troisième à l'hôtel du lieutenant général et le dernier au collège des jésuites (actuel lycée Stendhal, rue Raoul-Blanchard) dont le site restera immortalisé par le peintre Alexandre Debelle.
En 2002, une étude de Clarisse Coulomb sur la discrétion de l'habitat parlementaire à Grenoble permet de mettre en évidence un lien entre les lieux d'émeute et les domiciles des magistrats de la ville. Les émeutiers ne sont pas allés chercher les parlementaires vivant le plus à l'écart, à l'ouest ou à l'est de la ville[4].
Outre les raisons économiques ayant déclenché cette émeute, il est pertinent de noter que Grenoble est à l'époque une ville fortifiée, ceinturée de remparts, constituée d'un habitat extrêmement dense et possède donc une grande densité de population, caractéristique souvent favorable aux émeutes. Ainsi en 1841, 53 ans après la journée des Tuiles, alors que la ville vient tout juste d'achever une nouvelle extension de ses remparts, le colonel Leymonnery, artiste topographe du Génie note lors de l'établissement du plan-relief de Grenoble « On ne peut guère trouver de ville où les maisons soient plus agglomérées[15]. »
L'action de la justice étant suspendue par les édits, aucune poursuite n'est dirigée contre les auteurs de l'émeute. Le procureur général écrit le lendemain : « Dans toute autre circonstance, je n'aurais pas manqué de donner mon réquisitoire pour faire informer de cette émeute populaire ; mais j'ai cru plus prudent de me taire dans cette malheureuse circonstance, avec d'autant plus de raison que le Parlement ne peut pas agir, puisqu'il est en vacances suivant la nouvelle loi, qu'il y a, d'ailleurs, un trop grand nombre de coupables, l'émeute ayant été composée d'environ quinze mille âmes, et qu'il serait impossible d'en découvrir les chefs et auteurs principaux. »
Afin d'obtenir la réintégration du parlement et la convocation des États généraux du Dauphiné, la journée des Tuiles est suivie le samedi , par une assemblée des notables des trois ordres composée de 9 membres du clergé, 33 de la noblesse et 59 du tiers état dans l'hôtel consulaire, au nez et à la barbe du duc de Clermont-Tonnerre qui avait défendu cette réunion. Cent deux personnes des trois ordres sont réunies quand Pierre Dupré de Mayen, premier consul de la ville, déclare ouverte la séance. L'assemblée vote un texte destiné à Louis XVI afin qu'il leur accorde « la conservation des privilèges de la province, le rétablissement de l'ordre ancien et de pourvoir aux besoins des habitants que les circonstances ont réduits à l'indigence. » Le lendemain , le clergé à Paris résiste au roi en lui adressant une série de remontrances, critiquant durement les projets de réforme fiscale de Loménie de Brienne.
Le , une nouvelle réunion avec deux cent quatre personnes décide d'une nouvelle assemblée pour le au couvent des Minimes de la Plaine, hors des remparts de Grenoble. Sur ces faits, le duc de Clermont-Tonnerre est remplacé par Noël de Jourda, maréchal de Vaux qui comprend vite qu'il ne peut interdire la réunion, mais refuse qu'elle se tienne à Grenoble. L'industriel Claude Perier propose alors la salle du jeu de paume de son château de Vizille près de Grenoble[16]. L'offre est acceptée avec empressement et le maréchal laisse faire car malade, il décède peu après, le . Informé de cette réunion, Loménie de Brienne est furieux et convoque les deux premiers consuls de Grenoble à Versailles puis les fait emprisonner par lettres de cachet[17].
La route nº 5 d'Eybens bordée de noyers menant de Grenoble à Vizille est empruntée tôt le matin du par les parlementaires et notables précédés de quelques détachements d'infanterie et de dragons.
L'assemblée ouvre à huit heures du matin le , à l'initiative des avocats Antoine Barnave et Jean-Joseph Mounier. Composée de 540 personnes et présidée par le comte de Morges, elle réitère sa demande au roi Louis XVI au cours de cette réunion des états généraux du Dauphiné qui appellera aux états généraux de 1789 et sera la première à y réclamer le vote par tête, c'est-à-dire un vote par député, au lieu du vote par ordre (par lequel le clergé et la noblesse ont la majorité), ce qui revient à renverser le rapport de force en donnant une prépondérance au tiers état. L'arrestation des deux consuls Pierre Dupré de Mayen et Jacques-Philippe Revol est évoquée faisant élever une protestation solennelle contre cet « acte arbitraire du pouvoir. »
Douze jours plus tard, le , le roi cède et convoque les états provinciaux du Dauphiné à Romans pour le , puis six jours plus tard les états généraux du royaume à Versailles pour le 1er mai 1789. Le , les deux consuls de Grenoble sont remis en liberté et regagnent leur ville où ils sont accueillis triomphalement.
Le , reclus dans son château d'Herbeys, l'évêque de Grenoble Hippolyte Haye de Bonteville se suicide d'un coup de fusil, ayant joué un double jeu en renseignant Loménie de Brienne sur les intentions des patriotes grenoblois[18]. Son suicide est attribué à l'époque au dégoût de la vie qu'avaient développé les excès de libertinage auxquels il se livrait.
Le , le retour du premier président du parlement du Dauphiné, Albert de Bérulle, tourne au triomphe depuis Vourey. Arrivé à la porte de France, il est porté à bras d'homme jusqu'à son domicile, et des rues sont illuminées comme lors de sa prise de fonction à Grenoble, le [19]. Le , le parlement du Dauphiné rétabli dans ses fonctions fait sa rentrée sous les acclamations de la foule et le 1er décembre les états du Dauphiné reprennent leurs séances à Romans après un siècle et demi de silence. Le 1789, un décret de l'Assemblée nationale sur la constitution des municipalités met en place le statut de maire. À Grenoble, Laurent de Franquières est élu maire le , mais se sachant malade démissionne au bout d'une semaine, laissant la place à Joseph Marie de Barral. Cependant, la révolte qui vient de naître annonce une révolution bien plus vaste qui transformera tous les parlements, dont celui de Grenoble sur qui des scellés sont posés sur les portes le par le nouveau maire de la ville, Antoine Barnave.
Les années suivantes, au cours de la Terreur, la Révolution déclenchée ne provoquera que deux morts à Grenoble grâce à l'intervention en 1794 d'un officier municipal, Joseph Chanrion, qui avec beaucoup d'aplomb et d'éloquence répond à Robespierre président du Comité de salut public à Paris[20]. Alors qu'à travers la France 16 594 personnes passent par la guillotine[21], les deux victimes grenobloises sont deux prêtres réfractaires les abbés Revenaz et Guillabert guillotinés sur la place Grenette le . Cependant, une troisième victime allait rester dans la mémoire des Grenoblois, celle de leur ancien maire, Antoine Barnave, guillotiné à Paris le à la suite de ses entrevues avec Marie-Antoinette d'Autriche.
Pour Jean Loup Kastler, la journée des Tuiles est la première manifestation d'une « révolution matrimoniale » au service d'une écologie morale de la foule[22].
Jean Sgard s'est intéressé au processus de création du récit de la Journée des Tuiles qui s'approche, selon lui de la fiction. Il montre notamment que les comptes-rendus de la presse « obéissent très vite à une logique propre sans rapport avec la réalité », inventant même certains épisodes. Ce spécialiste du XVIIIe siècle se pose finalement la question « si l'importance donnée plus tard à cette journée, somme toute assez insignifiante sur le plan politique, n'est pas un mythe forgé par la Troisième République »[23].
En 1853, le peintre Alexandre Debelle, alors qu'il devient conservateur du musée de Grenoble, a peint L'Assemblée de Vizille, puis en 1890, un siècle après les faits, la toile décrivant l'émeute intitulée La Journée des Tuiles, . Ces œuvres se trouvent actuellement exposées au musée de la Révolution française de Vizille.
À l’approche du centenaire des évènements de l’été 1788, le député Gustave Rivet prend l’initiative en août 1886, de lancer l’idée de la construction d’un monument à la gloire du centenaire de la pré-révolution dauphinoise. Mais dans une ville extrêmement dense, des difficultés liées à la démolition de bâtiments sur la place Notre-Dame empêche la construction de la fontaine des trois ordres dans les délais. Cependant, dans le cadre du déplacement dans les Alpes du président Sadi Carnot, une fête commémorative est organisée le en sa présence[24]. Durant la soirée, après un banquet à l'hôtel de préfecture et avant un feu d'artifice sur la Bastille, une plaque monumentale est inaugurée à la lueur des torches sur la façade de l'hôtel de Lesdiguières, mentionnant les événements révolutionnaires de l'été 1788[25]. Finalement, la fontaine est inaugurée avec 9 ans de retard, le , en présence du président de la République Félix Faure.
En , lors du bicentenaire, un timbre postal français sous forme de triptyque a été émis à 4 192 961 exemplaires en hommage à ces évènements[26].
Depuis 2013, la course Grenoble-Vizille est organisée au printemps entre ces deux villes en reprenant le chemin effectué par les notables en , mais également celui en sens inverse de Napoléon Ier lors de son retour de l'île d'Elbe en mars 1815[27].
Le , le maire, Éric Piolle, annonce sur France Culture la commémoration de cette journée par la fête des Tuiles le [28], qui a été reconduite le [29], le et le [30],[31],[32]. L'événement prend place sur les cours Jean-Jaurès et libération et réunit associations, acteurs locaux, commerces et habitants. Elles se terminent traditionnellement par un défilé de chars de carnaval et un concert sous l'estacade le soir[33].
En 2018, la chambre régionale des comptes signale à la justice plusieurs « irrégularités importantes » dans la passation de marchés publics relatifs à la « fête des tuiles »[34]. Le service des marchés publics de la ville, « a [...] refusé de donner son visa, la procédure ayant été menée par la direction de la communication, sans publicité ni mise en concurrence ». Une structure, proche de la majorité municipale, était chargée de l’organisation de cette fête[35].
Éric Piolle est finalement condamné en appel à une peine de 8 000 euros d’amende avec sursis pour favoritisme. Son ancien directeur général des services François Langlois, l’adjoint de ce dernier Paul Coste et l’ancien directeur de la communication de la ville de Grenoble Erwan Lecoeur sont également condamnés à la même peine[35].
En 1823, à la faveur de la période de la Restauration, c'est par un étrange paradoxe dans une ville qui a pourchassé le duc de Clermont-Tonnerre 35 ans auparavant, qu'une grande statue représentant le chevalier Bayard, ancien lieutenant général du Dauphiné du XVIe siècle, est érigée sur la place Saint-André, devant le palais du parlement. Mais la principale modification sur cette place est la disparition de la prison de l'époque au profit d'un agrandissement du palais du parlement inauguré en 1897. La petite place aux Herbes est quant à elle restée inchangée depuis lors et abrite toujours son marché de légumes.
Au sud de la ville, l'important couvent des Jacobins devant la place Grenette a été démoli au XIXe siècle pour laisser place à des immeubles d'habitation. Une plaque posée au bout de la rue Philis-de-La-Charce, créée à cette occasion, rappelle l'existence de cet ancien couvent. Sur le site du tableau d'Alexandre Debelle, la rue Neuve du collège devenue rue du Lycée, puis rue Raoul-Blanchard dans les années 1960 a vu la démolition de ses immeubles d'habitation dans les années 1970 afin d'installer la maison du tourisme ainsi qu'une médiathèque. En face, le collège des jésuites qui va aussi héberger entre 1800 et 1870 le musée de Grenoble et la bibliothèque est aujourd'hui le lycée Stendhal. L'hôtel du gouvernement saccagé au cours de l'émeute était construit dans un bastion de l'enceinte Lesdiguières, qui ne sera démolie que dans les années 1850, bien après l'agrandissement de la ville de 1836. En lieu et place de cet hôtel démoli, se trouve depuis 1862 l'hôtel des troupes de montagne de Grenoble donnant sur la place Verdun.
Enfin, l'hôtel de la première présidence existe encore mais sous la forme d'habitation privée et seule une discrète plaque portant la mention Première présidence du Parlement du Dauphiné XVIIIe s. rappelle l'origine de l'édifice. La dénomination de sa voirie est passée de rue Neuve à rue Neuve-des-Pénitents puis rue Saint-Vincent-de-Paul[36], et enfin rue Voltaire vers 1875, du nom du philosophe qui, bien que mort dix ans avant la journée des Tuiles, est considéré comme précurseur de la Révolution française.