Naissance |
Tunis (Protectorat français de Tunisie) |
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Nationalité | Française |
Décès |
(à 82 ans) Créteil (Val-de-Marne) |
Profession | Réalisateur |
Marcel Hanoun, né le à Tunis et mort le à Créteil[1],[2], est un réalisateur, photographe et écrivain français.
Marcel Hanoun traverse une première fois, enfant, la Méditerranée. Il revient définitivement en France, à Paris, après la Libération. Passionné d’aviation, il est auditeur libre en technique aéronautique et en mécanique générale au CNAM.
Dans les années 1950, il suit des cours d’art dramatique et l’enseignement d’André Vigneau au C.E.R.T. (Centre d’Études de Radio Télévision). Il est photographe et journaliste tout en pratiquant le cinéma d’amateur. Grand admirateur du cinéma de Robert Bresson (il est fasciné par Un condamné à mort s'est échappé, 1956), il désapprend les règles de la technique et affirme sa propre esthétique du cinéma. Contemporain de la Nouvelle Vague, il pratique des recherches poussées sur le plan, le montage, le désynchronisme linguistique entre image et son, et anticipe sur les travaux de cette dernière. Son premier long métrage Une simple histoire (Grand Prix Eurovision à Cannes/1959) fascine Jean-Luc Godard, qui l'aidera financièrement par la suite; il y pratique, déjà, la séparation de l'image et du son et crée un film d'une grande force poétique. Très sollicité, il réalise, dans le système, Le Huitième Jour (1960, avec Emmanuelle Riva).
Déçu par le résultat, il quitte la France et s'établit en Espagne pour quelques années, où il tourne des documentaires, notamment sur la corrida ou la Passion du Christ, avant de trouver, avec Octobre à Madrid (1964), son véritable style et sa manière de faire : le sujet de cet opus est le film en train de se faire ; Hanoun commente les événements vrais ou inventés, imagine son casting, filme diverses postulantes : ces « préparatifs » forment, en fait, le film achevé, tel qu'il est montré au public. Cette question de la création, commentée en direct, sera à la base de la plupart de ses films ultérieurs. La politique de l’exception culturelle pratiquée en France n'est pas suffisamment ouverte et radicale pour prendre la véritable mesure du travail de Marcel Hanoun. Le cinéaste et ses films circulent dans les universités américaines et les cinémathèques. À New York, Jonas Mekas est fasciné par ses travaux et en fait le cinéaste français le plus important depuis Bresson.
De retour en France, après son séjour en Espagne, Hanoun réalise un film qui fait date : L'Authentique Procès de Carl-Emmanuel Jung (1966)[3]. Il y évoque un personnage imaginaire, mais dont le portrait pourrait être celui d’un criminel de guerre nazi. Le mot juif n’est jamais prononcé, on parle toujours d’étrangers lorsqu'on évoque les victimes de Jung. Le cinéaste replace le personnage dans le cadre de la société d’abondance des années 1960. Mélomane et cultivé, il n'a, apparemment, rien d'un bourreau. Ce sont les images, la musique, le montage, le son qui instruisent, en fait, le procès. Hanoun se méfiera toujours des faits historiques (ou de société) déformés par les médias. Comme chez Brecht, la mise à distance du pathos permet au spectateur de réfléchir, avec plus de sérénité, à cette douloureuse question du génocide (qui peut réapparaître partout, dans tous les contextes). En 2004, le réalisateur évoque, dans L’ Étonnement, le cas Bertrand Cantat-Marie Trintignant de manière très distanciée qui prend une mesure salutaire avec le bourrage de crâne orchestré, à l'époque, par les radios et télévisions.
De 1968 à 1970, Hanoun tourne ses quatre saisons, d’abord les saisons fortes : L’Été (1968) et L’Hiver (1970), puis les saisons transitoires : Le Printemps (1970) et L’Automne (1972).
Ses principales préoccupations y sont synthétisées : L’Été est tourné en . Sa jeune protagoniste, entourée de diverses photos des événements de Mai (dont la couverture du numéro 1 de Cinéthique), réfléchît sur les récents événements en attendant son fiancé. Tout est calme, pourtant on sent, plastiquement, dans les interstices de l’attente, dans le superbe noir et blanc contrasté, à travers, enfin, le chuintement d’une radio qui annonce l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, que le personnage vit dans une époque de transition sociale. Le Printemps met en parallèle la cavale d’un homme recherché par la police et l’arrivée des premières règles chez une adolescente (sa fille ?). Ce film anticipe sur le « dégendrement » qu’opère le cinéaste dans La vérité sur l’imaginaire passion d’un inconnu, où le rôle du Christ est tenu, tour à tour, par un homme et par une femme. L’Hiver et L’Automne sont des œuvres plus spécialement liées au processus de la création même (respectivement, comment faire et comment monter un film). Les identités et les rôles sont souvent, et volontairement, mélangés et confondus dans ses films.
Sans soutien institutionnel, Marcel Hanoun commence à tourner en 16 millimètres, puis en Super 8 et en vidéo, sans jamais baisser les bras. Il réalise, avec Un film (autoportrait) (1985), une mise au point subjective (il a commencé à employer le je dès Octobre à Madrid, bien avant Godard) et magistrale sur son esthétique, sa manière de faire, son combat et sa pugnacité. Après 1976, il est, durant quelques années, chargé de cours à l’Université Paris I.
Entre 1970 et 1980, Marcel Hanoun fait des tournées d’universités aux États-Unis et au Canada où il présente son travail et anime des ateliers. En France, il se heurte à l’exclusion pratiquée par les tenants timorés de l’exception culturelle. Il pose un principe de base : le cinéaste est un créateur d’écriture, non un « auxiliaire de production ». Le , en riposte au 3e refus de la commission d’avance sur recettes du CNC d’examiner le scénario de La Vérité sur l'imaginaire passion d'un inconnu, il entame une grève de la faim. Son geste connaît un certain retentissement et la commission procède à la lecture du projet. Il accepte alors de surseoir à sa grève. Par 6 voix contre 6, la commission refuse l’avance... Il réalise néanmoins le film qui est présenté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Il obtient une seule fois, sur toute sa carrière, l'avance sur recettes pour Le Printemps (1970).
Néanmoins Marcel Hanoun tourne avec frénésie. « L’exemplarité de mon engagement serait de filmer, tant que les moyens techniques même les plus pauvres de filmer existeront. Je filme comme d’autres ont la nécessité d’écrire avec seulement de l’encre et du papier. Je filme dans les interstices des vastes espaces marchands. Il n’est pourtant pas toléré qu’il puisse en être, de filmer comme d’écrire » (Marcel Hanoun, 1985).
Dès Octobre à Madrid, il met en place non seulement le thème récurrent, lancinant, sur lequel il reviendra, avec de nombreuses variations, tout au long de sa carrière, celui du film en train de se faire, mais aussi le cérémonial qu’il établit désormais avec ses spectateurs : il est souvent présent aux séances et invite, vivement, ces derniers à dialoguer avec lui. En 2010, malgré le fait qu’il doive subir une dialyse tous les trois jours, on le voyait souvent aux projections de ses films à la Cinémathèque française qui lui a consacré un hommage conséquent.
En 2003, Frédéric Acquaviva (créateur de la plupart de ses bandes sonores depuis 10 ans) réalise pour France Culture le premier documentaire radiophonique (90 min) sur l'œuvre de Marcel Hanoun.
En 2009, Frédérique Devaux et Michel Amarger signent un documentaire de 90 minutes sur cet artiste.
Au cours des années 2000 et 2010, malgré son état de santé fragile, Marcel Hanoun ne cesse de tourner et découvre avec bonheur les nouveaux outils audiovisuels. Il travaille essentiellement en vidéo légère et utilise également le téléphone portable. Le support lui importe moins que sa création qu'il peut, ainsi, poursuivre en toute liberté.
Le travail de Marcel Hanoun se caractérise par des collaborations de longue haleine avec certains acteurs privilégiés, tels Michael Lonsdale, Lucienne Deschamps ou Marc-Henri Boisse.
Marcel Hanoun est connu comme écrivain et théoricien du cinéma. Cela se manifeste dans ses films-essais, mais aussi dans ses nombreux ouvrages, recueils et manifestes, ainsi que la publication de ses scénarios.
Il a fondé deux revues. Tout d'abord, en 1969, la revue Cinéthique, dont il dirige les trois premiers numéros. Parti tourner et monter L'Hiver en Belgique, Hanoun est dessaisi de ses fonctions, la revue change de style et devient marxiste-léniniste. Puis il crée, en 1977 Changer le cinéma.
Par son intensité, sa profondeur et sa radicalité, le recueil de ses réflexions intitulé Cinéma Cinéaste. Notes sur le cinéma peut être comparé aux Notes sur le cinématographe de Robert Bresson. Comme le déclare Serge Toubiana à l'occasion de la rétrospective à la Cinémathèque française : « Vous êtes aussi un écrivain de cinéma, votre très beau livre en témoigne : Cinéma cinéaste, Notes sur l’image écrite, paru aux éditions Yellow Now, préfacé par Nicole Brenez qui accompagne votre démarche depuis longtemps avec talent. Pour vous, sans doute, filmer et écrire relèvent du même geste. « Écrire, filmer, acte de se penser soi-même », dites-vous. On ne se lasse pas de vous lire, on ne se lasse pas de regarder vos films. »[4].
Marcel Hanoun meurt le d'une attaque cardiaque.
« La création – au travail – est en soi cri de non-obéissance. » (1997)
« Emparez-vous de toute forme de hors-champ, détournez la norme, mettez-vous à la marge, observez le monde, non d'en être au cœur, libres d'être corseté de ses préjugés, mais dans un survol au grand-angle, vous privant de zoomer. Emparez-vous de la liberté d'inventer pour inventer la liberté. Taillez une plume, greffez-lui l'œil d'une caméra, une oreille qui ne soit qu'un orifice sans pavillon visible. Saisissez-vous de cette plume, écrivez, tracez en images sonores ce que vous pourriez vainement filmer en mots imagés, séducteurs et fallacieux. Faites, refaites le cinéma plutôt que « du cinéma ». N'ayez de maîtres de filmer que vous-mêmes, non de maîtres à filmer qui ne soient que maîtres de ballet et ne le soient que de vouloir vous apprendre à bien valser un film. Faites votre cinéma tout en marchant pas à pas, mâchonnant d'amers et tendres cailloux. Avancez, libres de toute discipline marchande. »
Lettre aux États Généreux (2009)
« Sur le tard de ma vie, cinéaste, depuis longtemps je sais, j’ai su toujours que l’exception, la diversité culturelles, sont des leurres qui nous feraient croire que la culture est dissociée de l’argent, qu’elle n’est pas conditionnée par le préalable d’une rentabilité financière, qu’elle est un pur commerce de l’esprit, insoumise aux règles d’un commerce ordinaire, d’une marchandisation.
Je n’ai presque jamais matériellement vécu de mes créations cinématographiques. J’ai juste rêvé mes films, j’en ai été, pour la plupart, le peintre et l’écrivain. Mes œuvres n’ont jamais vécu à travers des instances, des institutions, détournées de leurs vocations culturelles, démissionnaires. Avec des moyens pauvres et dérisoires, avec l’aide, la bonne volonté de ceux qui ont travaillé avec moi, j’ai pu réaliser mes films.
Je les ai volés, arrachés à une part d’ombre, rarement offerte au Public, interdite. Mes films ont été soustraits à la propagande d’une certaine intelligentsia critique, convenue, servile, sans créativité, sans esprit de découverte, ne devant sa survie que d’avoir partie liée avec la seule prospective commerciale. » ()
« De tous les sens, l'odorat est celui qui me frappe le plus. Comment l'odeur, le goût, se font-ils parfum, comment nos nerfs se font-ils nuances, interprètes subtiles, sublimes de ce qui ne se voit pas, ne s'entend pas, ne s'écrit pas avec des mots ? L'odeur serait comme une âme, immatérielle. »
En 2009, à l'initiative d'Eric Marais, Raoul Vaneigem rédige le texte Pour saluer Marcel Hanoun :
« Tout véritable créateur aspire à dépasser l’œuvre d’art pour réaliser l’œuvre de la vie. Chesterton note à propos de William Blake : « C’est un duel entre un artiste qui souhaite n’être qu’un artiste et un artiste qui nourrit une ambition plus haute et plus ardue : celle d’être un homme, c’est-à-dire un ange ». Délavé de sa fonction d’entremetteur divin auquel l’avait ravalé l’infamie religieuse, l’ange, en l’occurrence, n’est pas le messager d’un Dieu fantasmatique, il ne procède pas de l’esprit, qui rompt le corps à sa tyrannie, il n’obéit pas au souffle céleste d’une muse. L’ange est le « double », le « daimôn » - ainsi que l’appelaient les Grecs – que l’homme façonne inconsciemment dans l’Erèbe et dans l’Éden de son chaos émotionnel. Il est l’émanation des forces les plus élémentaires du corps, il vient à celui dont il est issu, porteur d’un enchevêtrement de bonnes et de mauvaises fortunes, qu’il appartiendra un jour à la conscience créatrice de démêler, afin que « seul entre tous les êtres, l’homme ait le privilège d’intervenir par sa volonté dans le cycle des nécessités, infrangible pour les êtres de pur instinct, et de commencer en lui-même une toute nouvelle série de phénomènes » (Schiller). Le véritable artiste, c’est l’être humain créant les conditions d’une humanité souveraine. »
— Raoul Vaneigem, Pour saluer Marcel Hanoun
En 1994, une rétrospective est organisée au Galerie nationale du Jeu de Paume. En 1997, il anime une projection/débat à la Maison des Écrivains : Écrire/Filmer. Un hommage à son œuvre en vidéo a lieu, en 1997, au Festival de Locarno.
Depuis 2000, à l'initiative de Nicole Brenez, la Cinémathèque française montre souvent l'œuvre de Marcel Hanoun. Ce travail trouve son apogée en : ensemble, les équipes de la programmation, de l’Action culturelle et des collections de la Cinémathèque française réalisent pour Marcel Hanoun un travail exceptionnel et organisent une rétrospective complète à l'occasion de laquelle un grand nombre de ses films sont restaurés et de nouvelles copies tirées, en particulier de certains films jusque-là invisibles. Gérard de la nuit (1955), Le Huitième jour (1959), Mystère d’Elche (1964), L’Eté (1968), L’Hiver (1969), Le Printemps (1970), Le Vent souffle où il veut (1975), Le Regard ou Extase (1977), Un film (Autoportrait) (1985) font ainsi l'objet de nouveaux tirages[6].
« C’est intéressant, parce que c’est en partie cela le cinéma de Marcel Hanoun » précise Bénoliel[7] : « Une œuvre qui n’en finit jamais et une œuvre actuelle, presque actualisée de se nourrir de l’actualité (une œuvre comme un feu aussi se nourrit de ce qui le consume, lui en tant qu’homme ; il a d’ailleurs intitulé un de ses films en vidéo, Je meurs de vivre [1992], et un autre – sur Roland Topor : Le cinéma au travail comme la mort, 1997). Toute sa vie, il a fait des films à partir de fait-divers, à partir de sa lecture des journaux, d’une information entendue à la radio, bref à partir de ce qui fait notre histoire collective (sauf erreur, pas une adaptation littéraire avouée, en revanche, en 70 films)[8]. »
Parallèlement, Marcel Hanoun crée sur internet une Cinémathèque personnelle et y insère des extraits de ses films à disposition des spectateurs. Il l'intitule ma-cinematheque.com et revendique de ne pas faire commerce de ses films. Les extraits sont retirés à partir de 2011, date à laquelle Marcel Hanoun met plusieurs de ses films en intégralité sur YouTube. On trouve également sur internet des portraits ou captations d'interventions (Master-Classes, ateliers..) réalisés par d'autres cinéastes, tels Lionel Soukaz ou Bert Beyens.
Parmi les cinéastes qui revendiquent le rayonnement de la pensée de Marcel Hanoun sur leur travail figurent notamment José Luis Guerin et Francesca Solari.