De retour à Francfort, il devient directeur de la section ornithologique du Muséum Senckenberg. Il collabore avec Charles-Lucien Bonaparte pour la systématique des oiseaux d'Amérique du Sud dans son Conspectus generum avium de 1854 ; en son honneur est créé le genreschiffornis. En 1848, il sert dans les troupes révolutionnaires badoises en tant que chirurgien, ce qui lui vaudra, des années plus tard — en plus de sa religion (information à vérifier)—, le refus à l'accession au poste de professeur (Privatdozent) de l'université de Francfort et la contrainte à l'exil comme Carl Vogt. On lui reprochera des positions « trop dangereuses pour la jeunesse ». Le fils de son maître Friedrich Tiedemann sera tué lors de ce soulèvement. Après un très bref exercice de la médecine générale à Francfort après 1845, il se dirige vers la recherche dans un petit laboratoire personnel pour commencer. Il se convertit au protestantisme pour épouser en secondes noces Elisabeth Schleuning de Darmstadt en 1860, après son premier mariage avec Claudia Gitta Trier (en 1853).
À Berne, il est professeur assistant d'anatomie comparée et de physiologie de 1854 à 1862, sous la direction de Gabriel Valentin (1810-1883)[2]. Il montre que les chiens ne survivent pas à l'ablation de la thyroïde et, plus tard, que l'injection d'extrait ou la transplantation de thyroïdes animales peut empêcher leur mort. C'est un des premiers pas vers l'opothérapie (cité par Georges Canguilhem). De 1862 à 1876, il est professeur de physiologie et de zoologie à l’Istituto di Studi Superiori de Florence à l'invitation de Carlo Matteucci. Il aura là Alexandre A. Herzen comme assistant à partir de . Il est alors violemment critiqué par les ligues s'opposant à la vivisection et sera même poursuivi en justice [3]. Il sera pourtant l'un des premiers à utiliser l'anesthésie (au chloroforme et à l'éther) dans l'expérimentation animale. Cette polémique, ainsi que le manque de moyens[4] l'obligent à quitter Florence. À l'initiative de Carl Vogt, alors Recteur de l'université de Genève, il accepte la chaire de physiologie[5] après le refus de Charles-Édouard Brown-Séquard. Il y poursuit ses recherches et son enseignement pendant près de vingt années, de 1876 jusqu'à sa mort, à l'âge de 73 ans. C'est le neurologue Jean-Louis Prévost (1838-1927) qui prend alors sa succession à la chaire de physiologie de la faculté de médecine de Genève. Il est, à l'image de ses correspondants Jakob Moleschott ou Carl Vogt, l'un des tenants du matérialisme. Avec ces deux derniers et Alexandre A. Herzen, il tentera de « fonder une revue positiviste dont l'une des tâches serait la propagande anticléricale »[6]. Il défendra également les thèses de l'évolution émises par Charles Darwin avec lequel il correspond[7].
Il est le frère aîné du chimiste Hugo Schiff (1834-1915). Il est le père de :
Les apports scientifiques de Schiff concernent de nombreux domaines de la physiologie humaine et animale.
En physiologie du système nerveux : il étudie les fonctions du nerf vague, de la moelle épinière[8],[9] et du cervelet, ainsi que l'innervation du cœur. Il donne la description de ce qui sera nommé plus tard réflexe croisé de Sherrington[10] ou phénomène de Schiff-Sherrington[11],[12]. Il contribue à la description des voies de la sensibilité[13] de la moelle épinière en pratiquant des hémi-sections comme Brown-Séquard à la même époque. Son intérêt se porte également très tôt sur des phénomènes « spirites » avec un regard très critique[14],[15].
En physiologie circulatoire et cardiaque: il étudie le contrôle de l'activité cardiaque[17] et vasculaire par le système nerveux autonome; il est le premier, en 1850, à montrer qu'il existe une période réfractaire à l'excitabilité du muscle cardiaque[18],[19] et surtout à donner une observation de massage cardiaque à thorax ouvert chez l'animal[20],[21], ouvrant la voie aux premières manœuvres de réanimation cardiaque en médecine.
Durant son séjour à Berne, il nourrit le projet projet de faire paraître un traité complet de physiologie, dont seul le premier volume, consacré à la physiologie des muscles et des nerfs, sera finalement publié, entre 1858 et 1859[22].
Moritz Schiff peut être considéré, par ses prolifiques contributions, par l'ampleur et la variété des sujets abordés dans ses recherches, comme l'archétype du grand savant du XIXe siècle ; il est l'un des pionniers de la méthode expérimentale en physiologie. D'esprit indépendant et original, il sera un auteur très cité sans pour autant atteindre l'éclat des Emil du Bois-Reymond, Hermann von Helmholtz ou Brown-Séquard, ses contemporains. Il paie aujourd'hui cette liberté par un relatif oubli.Polyglotte, il publie ses articles indifféremment en allemand, en français ou en italien dans de prestigieuses revues. Infatigable chercheur jusqu'à ses dernières années selon plusieurs témoignages, il multiplie et répète ses expériences, parfois à plusieurs années de distance. Ses très nombreuses publications scientifiques (près de deux cents), embrassant un large champ de la physiologie (science qui s'individualise au XIXe siècle), sont rassemblées en quatre volumes entre 1894 et 1898 (dernier volume posthume).
La Médecine Moderne (22-01-1896) — Le professeur Schiff de Genève. Planche extraite de Moritz Schiff : la vie et les carnets de laboratoire d'un physiologiste du XIXe siècle 2003 — Thèse de médecine, Université de Strasbourg, par A. Loucif (avec l'aimable autorisation de l'auteur).
Le cycle entérohépatique ou cycle de Schiff : les sels biliaires, après sécrétion par les cellules biliaires hépatiques et passage dans l'intestin grêle, sont en grande partie (95 %) réabsorbés, transitent par le système veineux cave pour rejoindre leur lieu de production : le foie.
Moritz Schiff (1823-1896) - Une page d'un Cahier de laboratoire de la période genevoise intitulé Cahier XI - Bibliothèque de l'institut de physiologie de la faculté de médecine (université de Strasbourg).
(de) Ueber die Anwendung des Polarisationsapparates in der pathologischen Anatomie der Nervencentren und über die Atelectasis medullae spinales : eine Antwort an Herrn Prof. Westphal, 1880, Berlin, Schumacher. 11 p. (Extrait de : "Archiv für Psychiatrie", Bd. XI, Heft 1)
La pupille considérée comme esthésiomètre par le professeur M. Schiff ; traduction de l'italien par le Dr R. Guichard de Choisity], 1875, Paris, Baillière. lire en ligne sur Gallica
↑Rudolph G. :Gabriel-Gustav Valentin(1810-1883):Grand prix de l'Académie des sciences (1835)correspondant de l'Académie de médecine(1846),Communication présentée à la séance du 23 novembre 1985 de la Société française
d'histoire de la médecine Texte intégral.
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↑Traité clinique des maladies de la moelle épinière (1879)par E. Leyden, traduit par les Drs Eugène Richard, Charles Viry, Baillière, Paris. lire en ligne sur Gallica
↑(en)DECEREBRATE RIGIDITY, AND REFLEX COORDINATION OF MOVEMENTS par C. S. SHERRINGTON texte intégral
↑Le phénomène de Schiff-Sherrington : lorsque la moelle épinière est sectionnée transversalement dans la région thoracique moyenne ou un peu plus bas, l'étirement et les autres réflexes de posture de l'extrémité supérieure sont exacerbés; si la trans-section se situe dans la moelle sacrée, un effet similaire est observé au membre inférieur. Cet effet est considéré comme un phénomène de libération, c'est-à-dire, la libération d'une influence inhibitrice normalement exercée par les segments spinaux en dessous de la trans-section
↑Schiff-Sherrington Phenomenon in an Autonomic Reflex G. H. Wang, American Journal of Physiology, November 30, 1958, vol. 195, no 3, p. 787-789. résumé
↑« Sur la transmission des impressions sensitives dans la moelle épinière » par M. Schiff, présentés M. le Prince Ch. Napoléon, Comptes rendus hebdomadaires de l'Académie des Sciences, 1854, t. 38, p. 926-930. lire en ligne sur Gallica
↑Dr Joseph Lapponi, L'hypnose et le spiritisme : étude médico-critique, Paris, Perrin, 1907, p. 220-222. lire en ligne sur Gallica
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