Le suffrage universel consiste en la reconnaissance du droit de vote à l'ensemble des citoyens. Il est défini par opposition au suffrage restreint qui réserve le droit de vote à certains citoyens[1], en particulier au suffrage censitaire ou au suffrage capacitaire. Il est l'expression de la souveraineté populaire et de la volonté générale dans un régime démocratique. Dans sa version moderne, il est individualisé, c'est-à-dire qu'il s'effectue selon le principe « une personne, une voix », contrairement au vote plural ou au vote familial.
L'expression « suffrage universel » est attestée au XVIIIe siècle[2] : sa plus ancienne occurrence connue se trouve chez Denis Diderot dans une de ses Lettres à Sophie Volland, datée de , avec le sens de « vote à l'unanimité »[2],[3] ; François Guizot est le premier à l'employer dans le sens de « droit de vote attribué à tous les électeurs (masculins) » dans la 13e leçon de son cours d'histoire moderne, en [2],[3].
Le droit de vote permet aux citoyens d'un État d'exprimer leur volonté, à l'occasion d'un scrutin, afin d'élire leurs représentants et leurs gouvernants, de répondre à la question posée par un plébiscite ou un référendum, ou encore de voter directement leurs lois. Pour les démocraties modernes il s'agit du principal droit civique, considéré comme fondamental.
Le suffrage universel[5] est le mode de scrutin adopté par les démocraties modernes, d'abord en tant que suffrage universel masculin puis en tant que véritable suffrage universel, étendu au droit de vote des femmes. Institué en France pendant la Révolution française, avec le décret du 11 août 1792, il fut supprimé par le Directoire avant d'être rétabli, presque par surprise, lors de la Révolution de 1848 [6]. En vigueur lors du Second Empire, bien que fortement limité en raison des conditions pesant sur la procédure, avec notamment la nomination des candidats par l'État — ce qui l'apparentait à ce qui se passe dans les régimes du XXe siècle à parti unique mais instituant le suffrage universel —, il fut réinstitué lors de la Troisième République et depuis accepté en tant que fondement de la démocratie. Bien qu'admis dès 1848, le principe du vote secret n'est réellement mis en place qu'avec l'institution de l'isoloir en 1913, tandis qu'il faut attendre 1944 pour que les femmes obtiennent le droit de vote (première application en 1945). Dans de nombreux autres pays, à l'exception de la Suisse, l'écart entre le suffrage universel masculin, souvent adopté plus tardivement qu'en France (1870 pour l'Allemagne) et le suffrage universel proprement dit (incluant donc, les femmes), est bien moindre.
L'histoire du suffrage universel ne concerne pas uniquement l'élection des représentants politiques, puisqu'elle croise aussi celle de l'institution des jurys populaires, ou l'élection des magistrats et autres responsables politiques (c'était le cas dans la France révolutionnaire, et ça l'est toujours aux États-Unis).
Par ailleurs, outre la proclamation du principe lui-même du suffrage universel, les conditions de son application concrète et l'extension du droit de vote à certaines catégories de la population qui pouvaient en être exclues (les femmes, mais aussi les personnes condamnées pour certaines peines, les « malades mentaux » ou encore les enfants, mais aussi les domestiques ou les vagabonds) font partie de son histoire. On pouvait en effet affirmer le principe du suffrage universel, tout en restreignant par certaines lois électorales sa portée. Des conditions de domicile ou d'alphabétisation (notamment lorsqu'il fallait soi-même écrire le nom des candidats sur les bulletins) ont ainsi été imposées. En France, il faut attendre par exemple la loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pour que des personnes mises sous tutelle puissent voter, après autorisation d'un juge, la loi du 5 mars 2007 sur la réforme de la protection des majeurs faisant du droit de vote des majeurs sous tutelle la norme.
Le suffrage universel se définit par opposition à d'autres types de suffrages restreints qui limitent le droit de vote à une partie de la population en raison de la fortune, de l'éducation, du sexe, de l'âge, de la religion, de la race, de la nationalité, des condamnations pénales, basé sur l'égalité devant la loi.
Expression de la volonté populaire d'une nation, le suffrage universel est réputé n'avoir de sens que s'il est réservé aux citoyens de cette nation. La loi fixe les conditions censées garantir la représentativité du suffrage :
Le suffrage universel peut s'exprimer de deux manières :
Chaque État fédéré des États-Unis dispose de sa propre constitution et de sa propre législation en matière de droit de vote. Toutefois, un certain nombre de règles ont été imposées aux États par le Congrès fédéral. À l'indépendance, le suffrage était limité aux hommes blancs propriétaires, et souvent aux protestants. Le premier État à abolir la condition de propriété fut le New Hampshire en 1792, le dernier fut la Caroline du Nord en 1856. Les dernières restrictions discriminant l'accès au droit de vote des Afro-Américains et des autres minorités n'ont été abolies que par le Voting Rights Act en 1965. La première entité à accorder le droit de vote aux femmes aux États-Unis fut le Territoire du Wyoming en 1869 ; ce droit fut étendu en 1920 à toutes les élections par le XIXe amendement. Le droit de vote fut abaissé à 18 ans en 1971 par le XXVIe amendement.
La Constitution de 1793 — qui ne sera pas appliquée en raison de la guerre et sera supprimée lors de la réaction thermidorienne — prévoit pour la première fois le suffrage universel (ou semi-universel car réservé aux hommes) et une démocratie semi-directe[8].
De 1815 à 1848, sous la monarchie, le peuple est totalement exclu du suffrage par le rétablissement du suffrage censitaire. Malgré l'abaissement des critères de cens, le nombre d'électeurs passe seulement de 100 000 en 1817 à 246 000 en 1846. Sous la monarchie de Juillet, le ministre royaliste et libéral Guizot s'oppose au suffrage universel qu'il considère comme un principe absurde[9].
En 1848, pour contourner l'interdiction de réunion et d'association instaurée par la monarchie, les partisans du suffrage universel, auquel s'oppose le roi, organisent des banquets qui se transforment en discours politiques. La répression de ces rassemblements, qui fait plusieurs morts, conduit à la révolution de 1848[10]. Le suffrage « universel », encore réservé aux hommes, sera rétabli par la Deuxième République en 1848, sous l'impulsion d'un gouvernement provisoire composé de républicains libéraux et de socialistes[11]. De nombreuses personnalités s'y opposent néanmoins, notamment Alexis de Tocqueville. Dès 1850, le suffrage universel est suspendu avec l'exclusion des populations jugées « dangereuses » du droit de vote[12].
Sous la Troisième République, le Sénat dominé par l'aile droite du Parti radical ne cessera de repousser le vote des femmes malgré les divers votes et propositions de l'Assemblée nationale, notamment une proposition du républicain Ferdinand Buisson[13], ainsi que le vote à l'unanimité des députés sous le Front populaire qui ne sera pas retranscrit à l'ordre du jour au Sénat[14]. Les femmes obtiennent le droit de vote en 1944 à la suite d'une ordonnance du général de Gaulle[15].
Le suffrage universel est prévu, en France, dans les constitutions suivantes :
Au Royaume-Uni, John Cartwright fut le premier à en réclamer l'adoption, dans son pamphlet Take your Choice (1776). La classe dirigeante britannique rejette cependant avec une certaine véhémence l'idée de démocratie, qualifiée par le philosophe conservateur Edmund Burke de « dictature de la populace » et de « multitude porcine ». L'historien whig Thomas Babington Macaulay voit pour sa part le suffrage universel comme étant « absolument incompatible avec la survie de la civilisation[18]. »
Le 16 août 1819, un rassemblement ouvrier réunit à Manchester près de soixante mille personnes pour réclamer l'établissement du suffrage universel. Sur ordre des magistrats, la marche est réprimée par la milice montée (la Yeomanry), avec l’aide de l’armée régulière. Au cours de la charge, 16 à 18 personnes sont tuées et plus de 650 blessées, dont environ un quart sont des femmes. Le « massacre de Peterloo » est depuis lors considéré comme l'un des évènements fondateurs de l'histoire ouvrière britannique[19].
Le Reform Bill de 1832 fit passer le droit de vote de 200 000 à un million d'hommes (environ le cinquième de la population masculine). Une grande agitation populaire entraine l'adoption du Reform Act de 1867 qui augmente le nombre d'électeurs mais continue de priver du droit de vote la moitié de la population masculine. D'autre part, « aucun des dirigeants, qu'ils fussent libéraux ou conservateurs, n'attendaient de cet édit qu'il établisse une constitution démocratique. » Il faut attendre 1918 pour que le droit de vote soit étendu à tous les hommes de plus de 21 ans et aux femmes de plus de 30 ans[20].
C'est immédiatement après la première guerre que le Suffrage universel masculin fut introduit par la volonté manifeste du roi Albert Ier et la pression sociale. Cette démarche soudaine est appelée par les conservateurs le coup de Loppem. En effet, les élections législatives pour mettre en place l'assemblée constituante auraient dû être menées selon le principe du vote plural alors en vigueur, mais il n'en fut rien.
En 1948, l'Assemblée constituante, tout en exprimant, avec l'approbation de l'ordre du jour d'Antonio Giolitti, le support de la représentation proportionnelle dans l'élection des membres de la Chambre des députés, ne vise pas à rigidifier cette question en termes législatifs, la constitutionnalisation de choix proportionnaliste ou de placer formellement pour les systèmes électoraux, dont la configuration est laissée à la loi ordinaire.
La Cour constitutionnelle, avec arrêt no 1 de 2014, a résumé les principes qui régissent le droit électoral italien[21] : « Il est [...] un modèle de système électoral imposé par la Constitution, car elle laisse à la discrétion du législateur de choisir le système qu'il juge le plus approprié et efficace compte tenu du contexte historique [...] Les dispositions attaquées visent à faciliter la formation d'une majorité parlementaire appropriée, afin d'assurer la stabilité du gouvernement du pays et à accélérer le processus de prise de décision, ce qui constitue sans autre objectif constitutionnellement légitime [...] une altération du système démocratique établi par la Constitution, basé sur le principe fondamental de l'égalité du vote (art. 48, deuxième alinéa, de la Constitution.). Il ne lie pas en fait le législateur au choix d'un système particulier, cependant il exige que chaque vote puisse potentiellement contribuer aussi efficacement à la formation des organes élus (décision n°43 de 1961) et prend des nuances différentes selon le système électoral choisi. Dans les systèmes constitutionnels cohérents avec l'italien, dans lequel il est également envisagé que le principe et ne sont pas constitutionnalisés la formule électorale, la Cour constitutionnelle a expressément reconnu, pendant un certain temps, que si le législateur adopte le système proportionnel, même partiellement, il suscite une attente légitime qui se traduira par un déséquilibre sur les effets du vote, et qui est une évaluation inégale de la « charge » du vote « résultante » pour la répartition des sièges, il est nécessaire d'éviter des dommages pour la fonctionnalité de l'organe parlementaire »[22].