Tristan Bernard naît le , à Besançon dans le Doubs, du mariage de Myrthil Bernard (1838-1916), négociant puis entrepreneur de travaux publics, et Emma Ancel (1842-1909)[1], tous les deux de religion juive.
Il fait son service militaire dans les dragons, auxquels le général Boulanger, alors ministre de la Guerre, a autorisé le port de la barbe. Après son service, Tristan Bernard décide de la conserver. Il se destine à une carrière d'avocat, « mais n'exerce jamais »[3], préférant se tourner vers les affaires et prendre la direction d'une usine d'aluminium à Creil. « Il se libère rapidement de cette fonction pour se consacrer à ses deux passions : l'écriture et le vélo (il est un temps directeur du vélodrome Buffalo »[3] à Neuilly-sur-Seine (Toulouse-Lautrec l'y a peint en 1895). Plus tard, il dirige Le Journal des vélocipédistes.
En 1891, alors qu'il commence à collaborer à La Revue blanche, il prend pour pseudonyme « Tristan », le nom d'un cheval sur lequel il avait misé avec succès aux courses.
En 1894, il publie en collaboration avec Pierre Veber« un recueil de fantaisies, Vous m'en direz tant ! »[3] et, l'année suivante, sa première pièce, Les Pieds nickelés, un triomphe qui détermine une longue carrière de dramaturge à succès. Plusieurs de ses pièces seront d'ailleurs adaptées au cinéma.
En 1904, il fait partie de la première rédaction de L'Humanité, le journal de Jean Jaurès. Par quelques articles, il contribue en 1917 aux débuts du Canard enchaîné. Il préside les banquets pour les numéros-anniversaires du journal en 1931 et 1934. Il aurait, par ailleurs, inventé le jeu des petits chevaux[4].
Proche de Léon Blum, Jules Renard, Lucien Guitry, Paul Gordeaux, Marcel Pagnol, et de bien d'autres artistes, Tristan Bernard se fait connaître pour ses jeux de mots, ses romans et ses pièces, ainsi que pour ses mots croisés. Il contribue aussi largement au genre policier par son recueil Amants et Voleurs (1905), mais aussi avec plusieurs romans : L'Affaire Larcier (1907), Secrets d'État (1908), récit d'un complot contre le souverain de l'État imaginaire de Bergensland. Mathilde et ses mitaines (1912) met en scène la farfelue Mathilde Gourgeot qui préfigure le type de femme détective amateur qu'on retrouve beaucoup plus tard chez Erle Stanley Gardner, Maurice-Bernard Endrèbe et quelques autres. Le Taxi fantôme (1919) oppose un historien et un politicien véreux, qui briguent tous deux un poste d'académicien. Son avant-dernière contribution, Aux abois (1933), écrite sous forme d'un journal intime, est sous-titrée Journal d'un meurtrier[3]. Il publie un dernier roman policier avec Visites nocturnes (1934).
« Sans doute que je serai vieille, Dit la marquise, cependant J'ai vingt-six ans, mon vieux Corneille, Et je t'emmerde en attendant. »
Pendant l'Occupation allemande, il habitait rue Villaret-de-Joyeuse, menacé comme Juif, il se réfugie à Cannes où il vit à l'hôtel Windsor. À son ami, le scénariste Carlo Rim qui le presse de venir se cacher chez lui la nuit, il répond : « À mon âge, on ne découche plus ! » et d'ajouter : « Savez-vous que je figure dans le Petit Larousse ? On n'arrête pas quelqu'un qui figure dans le Petit Larousse »[7]. Son ami Roland Dorgelès le presse aussi de venir se cacher chez lui à la campagne. Il est arrêté avec sa femme par les Allemands en septembre 1943 alors qu'il venait d'acheter les billets de train pour le rejoindre[8]. Arrêté en tant que Kuif, il est interné au camp de Drancy, le 1er octobre ; à son départ pour ce camp dans un car de la Gestapo, il a cette phrase à son épouse : « Jusqu'à présent nous vivions dans l'angoisse, désormais, nous vivrons dans l'espoir. »[9].
Il est libéré le [10] grâce à l'intervention de Sacha Guitry[11] et de l'actrice Arletty. Il avait refusé une première fois sa libération, ne voulant pas laisser sa femme, Mamita. Il confie à l'avocat Maurice Garçon : « Je n'ai jamais aimé apprendre l'histoire mais cet embêtement n'est rien auprès de l'obligation de la vivre[12]. »
Tristan Bernard se marie une première fois le dans le 3e arrondissement de Paris, avec Suzanne Rebecca Bomsel (1869-1928[15]), se déclarant à cette occasion avocat à la cour d'appel[16]. Il a trois fils de cette union. Le premier, Jean-Jacques (1888-1972), est un auteur dramatique, promoteur du « théâtre du silence» (Martine), qui témoigna également sur l'univers concentrationnaire (Le Camp de la mort lente, Le Pain rouge). Le deuxième, Raymond, est un réalisateur de cinéma, avec notamment en 1934, Les Misérables, la première version cinématographique sonore, en noir et blanc, une des plus fidèles adaptations en trois volets. Le cadet, Étienne (1893-1980), résistant, professeur de médecine, phtisiologue, contribue à la promotion de la vaccination et la diffusion du BCG.
Veuf, il se marie en secondes noces, le 3 juin 1929, dans le 17e arrondissement de Paris avec Agathe Marcelle Reiss dite « Mamita » (1876-1952), fraîchement divorcée de Samuel Aron[17],[18].
Tristan Bernard est par ailleurs le beau-frère du dramaturge Pierre Veber[19] et de Paul Strauss, sénateur de Paris.
Tristan Bernard est nommé chevalier de l'ordre national de la Légion d'honneur en 1903, officier en 1913, commandeur en 1928 et élevé à la dignité de grand-officier en 1939[20].
« En 1914, on disait « on les aura », eh bien maintenant, on les a. »
« Comme c'est triste d'avoir si peu d'occupation dans un pays si occupé. »
« J’appartiens à ce peuple qu’on a souvent appelé élu… Élu ? Enfin, disons : en ballottage[21]. »
« Tous les comptes sont bloqués, tous les Bloch (prononcer "Bloc") sont comptés. »
À son départ pour le camp de déportation :
« De quoi avez-vous besoin M. Tristan Bernard ? —D'un cache-nez[22]. »
À sa femme dans le car de la Gestapo qui emmène le couple à Drancy après son arrestation par les Allemands : « Jusqu'à présent nous vivions dans l'angoisse, désormais, nous vivrons dans l'espoir »[9],[23].
« La mort, c'est la fin d'un monologue. »
« Il vaut mieux ne pas réfléchir du tout que de ne pas réfléchir assez. »
« Un jour, on verra surgir à l’horizon des menaces de paix. Or nous ne sommes pas prêts. » (Le Poil civil, 1915).
« Janvier, mars, mai, juillet, août, octobre, décembre... Des mois élégants : ils se mettent sur leur trente et un[24].»
« La gloire de l'acteur, comme la beauté d'une femme, ne perd rien de sa grandeur du fait qu'elle est périssable.»
« Je crois à la chance. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour justifier la réussite des gens que je n'aime pas[24].»
« Il ne faut compter que sur soi-même. Et encore, pas beaucoup[24].»
« Le caramel fréquente le palais et menace la couronne.»
« Je veux bien changer d'opinion, mais avec qui ?[24]»
« J'ai revu un ami, l'autre jour. Il avait tellement changé qu'il ne m'a pas reconnu. »
« Ah ! que les hommes sont méchants de ne pas m'aimer autant que je m'aime ! [25]»
« L'honnêteté n'est pas un habit des dimanches, mais un vêtement de tous les jours[24].»
Tristan Bernard est également connu pour ses grilles de mots croisés, pleines d'esprit et de malice. Contrairement à une idée reçue, ce n'est pas à lui que l'on doit cette définition en 8 lettres, « Vide les baignoires et remplit les lavabos » (réponse : l'entracte), mais à Renée David[26]. En revanche, on lui doit bien celles-ci : « Ne reste pas longtemps ingrat » (réponse : l'âge), « Lève son drapeau en signe de liberté » (réponse : un taxi), « Suit le cours des rivières » (réponse : un diamantaire) et « Moins cher quand il est droit » (réponse : un piano).
Tristan Bernard, un grand absent de l'Académie française, qui aimait dire : « Académicien ? Non. Le costume coûte trop cher. J'attendrai qu'il en meure un de ma taille »[24] mais également « Je préfère faire partie de ceux dont on se demande pourquoi ils ne sont pas à l’Académie plutôt que de ceux dont on se demande pourquoi ils y sont. »
Le Narcotique ; La Morale et le Hasard ; Révélation ; Expédition nocturne ; La Maison du crime ; Une opération magistrale ; Le Triomphe de la science ; Le Coup de Cyrano ; Un mystère sans importance, Radio-Paris, 1930. Réédition De Varly en 2019
Nouveau recueil de cinquante problèmes de mots croisés (1930)
Les Parents paresseux (1932)
Voyageons (1933)
Compagnon du Tour de France (1935)
60 années de lyrisme intermittent (1945), dont il offrit un exemplaire à Sacha Guitry avec cet envoi : "A mon vieil ami Sacha...qui m'a tiré - je ne l'oublierai jamais - des griffes allemandes. Tendrement". (no 118 du catalogue de la vente de la bibliothèque Sacha Guitry, 25/03/1976 - arch.pers.)
Nouveaux mots croisés, avec la collaboration posthume de Jean de La Fontaine (1946)
Paul Blanchart, Tristan Bernard, son œuvre, portrait et autographe, document pour l'histoire de la littérature française, Éditions de la Nouvelle Revue critique, 1932 (OCLC4563862)
↑"Mémoires d'une vieille vague" de Carlo Rim, éditions Gallimard, 1961, page 152.
↑Témoignage de Dominique Nohain dans Télé 7 Jours no 808, semaine du 8 au 14 novembre 1975, page 74, article de Paulette Durieux : "Dominique Nohain a rendu son nom au Théâtre Tristan-Bernard".
↑Journal 1939-1945 de Maurice Garçon, éditions Les Belles Lettres/Fayard, 2015, p.504 à la date du 22 octobre 1943 : « Je sors de rendre visite à Tristan Bernard. Il est libéré depuis hier ainsi que sa femme. Ils se sont réfugiés chez Jean-Jacques Bernard, rue Eugène Flachat »
↑« Tristan Bernard fut libéré huit jours après son arrestation. De chez son fils, il écrivit à Sacha sa reconnaissance profonde. », cité par Dominique Desanti, dans Sacha Guitry, 50 ans de spectacle, Grasset, 1982, p. 300.
↑Journal 1939-1945 de Maurice Garçon, éditions Les Belles Lettres/Fayard, 2015, p. 505 à la date du 22 octobre 1943.